RSA : l’Assemblée adopte une vieille marotte de la droite
La majorité et la droite Les Républicains ont fait passer, à trois voix près, l’une des mesures les plus contestées de la réforme du RSA, avec 15 heures d’activités obligatoires pour les bénéficiaires. La gauche dénonce une loi qui aura pour seul effet de radier les allocataires.
Pauline Graulle et Cécile Hautefeuille - 29 septembre 2023 à 09h25
Un hémicycle presque vide et une indifférence médiatique quasi générale. C’est dans ce contexte que l’Assemblée nationale a voté, jeudi 28 septembre en fin d’après-midi, l’article 2 du projet de loi « pour le plein emploi » instaurant quinze heures d’activités obligatoires pour les allocataires du RSA. La gauche, clairsemée sur ses bancs, a échoué, à trois voix près, à le faire tomber, en dépit de l’offensive du député Arthur Delaporte, seul socialiste présent au moment du scrutin.
« C’est un regret, on pensait que le vote aurait lieu plus tard dans la soirée, ça nous rappelle qu’il faut une présence quasi permanente », a commenté, pendant l’interruption de séance, l’élu insoumis Éric Coquerel.
Toute la journée, l’amendement du député Les Républicains (LR), Philippe Juvin, instaurant les quinze heures d’activités obligatoires, a occupé les discussions dans l’hémicycle, sous l’œil bienveillant d’Olivier Dussopt, lequel n’est sorti de son mutisme que pour indiquer qu’il émettait un avis défavorable à tous les amendements de la gauche.
En juillet, alors que le groupe de Bruno Retailleau avait ajouté la mesure dans le texte lors de son examen au Sénat, le ministre du travail expliquait pourtant de manière limpide les raisons pour lesquelles il ne voulait pas voir cette obligation inscrite dans son projet. « Si nous écrivons dans la loi quinze heures minimum, que se passe-t-il s’il n’y a pas la possibilité d’offrir quinze heures [d’activité – ndlr] qui soient véritablement adaptées au parcours des personnes ? La seconde raison, [c’est que] pour certains allocataires [les plus éloignés de l’emploi – ndlr], la marche de 15 heures d’activité peut parfois sembler difficilement accessible du premier coup », arguait-il, pragmatique, dans l’hémicycle du palais du Luxembourg.
Une vieille idée de droite
Deux mois plus tard, la nécessité d’obtenir les voix de LR l’a manifestement emporté sur toute autre considération. La totalité du groupe Renaissance a ainsi voté l’amendement de Philippe Juvin. Et Éric Ciotti, le patron du parti Les Républicains, de crier victoire sur le réseau social X (anciennement Twitter) en se réjouissant que « les bénéficiaires des aides sociales [aient] aussi des devoirs ».
La droite peut se satisfaire : elle porte depuis des années l’idée d’un RSA assorti d’obligations. Nicolas Sarkozy en défendait le principe dès 2015 et c’est une ex-LR, Brigitte Klinkert – aujourd’hui députée Renaissance –, qui a instauré en 2016 le RSA conditionné à sept heures de travail bénévole dans le Haut-Rhin.
La proposition a ressurgi en 2022, en pleine campagne présidentielle, formulée par la candidate de la droite Valérie Pécresse et rapidement copiée par un certain… Emmanuel Macron. La promesse était claire : réformer le RSA en obligeant ses bénéficiaires à consacrer « 15 à 20 heures par semaine à une activité permettant d’aller vers l’insertion ». Le tout au nom d’une prétendue « dignité » des bénéficiaires.
« Les 15 à 20 heures ne seront pas inscrites dans la loi. Il s’agit d’un objectif », jurait pourtant Olivier Dussopt au mois de mai dernier. Le « deal » avec la droite et l’engagement du candidat Macron auront, sans surprise, eu raison de cette promesse.
Une réforme inapplicable
Derrière les déclarations triomphales d’une droite toujours prompte à reprendre l’antienne de « l’assistanat » et la satisfaction affichée d’un gouvernement désireux de « remettre les Français au travail », il y a néanmoins loin de la coupe aux lèvres. Seize ans après la création du RSA par Martin Hirsch – une réforme déjà censée favoriser le retour à l’emploi des allocataires du RMI –, la nouvelle mouture du RSA concoctée par le gouvernement Borne a en effet toutes les chances de connaître le même échec.
Non seulement l’amendement de Philippe Juvin a assoupli celui de la droite sénatoriale en lui accolant bon nombre de dérogations en cas de maladie, de handicap ou d’enfant à charge (encore très floue, la liste des personnes exemptées sera fixée plus tard par décret). Mais la mesure se heurte surtout au manque d’ores et déjà criant de professionnels – assistantes sociales, conseillers Pôle emploi, etc. – indispensables à son application.
« Le problème, c’est que pour remettre les gens au travail, il faut des mesures d’accompagnement individuel et cela requiert d’importants moyens. Or dans le projet de loi, il y a zéro argent », reconnaît lui-même Philippe Juvin, qui jure que son groupe déposera des amendements pour financer sa mesure dans le futur projet de loi de finances. Des amendements qui n’ont eux-mêmes aucune chance d’être conservés dans le prochain budget marqué par l’austérité qui vient d’être présenté par Bercy et que le gouvernement compte, une nouvelle fois, faire adopter par 49-3.
D’ailleurs, si le budget 2024 du ministère du travail est en hausse de 1,7 milliard d’euros pour permettre le financement de France Travail, il ne prévoit pas d’embauches massives pour assurer les nouvelles missions de l’agence. Seuls « 300 emplois temps plein » sont prévus par le ministère pour gérer « l’accompagnement renforcé » promis et le flux des nouvelles et nouveaux inscrits.
De petits moyens pour un projet de loi qui voit grand : il entend rendre obligatoire l’inscription au chômage « de toutes les personnes en recherche d’emploi ou rencontrant des difficultés sociales et professionnelles d’insertion ». Pour les bénéficiaires du RSA, l’inscription sera « automatique » dès leur demande d’attribution du revenu de solidarité active. Aujourd’hui, quatre millions de personnes perçoivent le RSA, dont 40 % pointent à Pôle emploi.
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De quoi renforcer les craintes de la gauche qui, depuis le début de l’examen du projet de loi au palais Bourbon, lundi, dénonce « l’absurdité » et « l’enfumage » du nouveau « pacte d’engagement » élaboré par le gouvernement Borne. « On n’est pas contre l’accompagnement vers l’emploi des allocataires, mais si le gouvernement voulait vraiment le faire, il faudrait un conseiller pour 50 ou 60 allocataires, ce qui coûterait 10 milliards d’euros », affirme ainsi le député PS Arthur Delaporte qui estime que « l’argent de l’insertion, ils ne l’auront jamais ! ».
La sanction conduit au non-recours
Ce dernier n’a d’ailleurs eu cesse, en début de semaine, d’interpeller le ministre du travail pour disposer de données statistiques concernant les radiations du RSA et leurs conséquences, recueillant pour seule réponse que ces relevés n’existent pas. Or, un document de la Caisse nationale d’allocations familiales a été obtenu par le socialiste Jérôme Guedj, le même qui avait mis Olivier Dussopt KO debout sur le mythe des pensions à 1 200 euros pendant le débat sur la réforme des retraites.
Ce document, consulté par Libération, révèle que « la sanction semble avoir un impact sur le droit au RSA à moyen terme », entraînant « fréquemment une sortie du droit ». Dit autrement : sanctionner les bénéficiaires du RSA ne « remobilise » pas ces derniers, mais les décourage de réclamer leur droit. « Ce que produit la sanction, c’est du non-recours, de l’extrême pauvreté », avertit Arthur Delaporte.
Toute la journée, et jusque tard dans la soirée lors de laquelle était discuté le chapitre 3 du texte portant sur les sanctions, les députés de la Nupes ont tenté de faire apparaître la dimension purement coercitive du projet de loi. Voire de repousser les assauts de la droite, soutenus par la majorité présidentielle, pour durcir davantage le volet des sanctions. « Ce projet n’étant pas financé, vous venez d’inventer le service public de la radiation, pas le service public de l’insertion », a résumé le patron des députés socialistes, Boris Vallaud.
Le communiste Pierre Dharréville a lui aussi contesté la philosophie du texte, consistant à « radier à grande échelle » les demandeurs d’emploi. Quant à l’Insoumis Hadrien Clouet, il a fait le parallèle avec la stratégie et la rhétorique des réformes Hartz IV adoptées en Allemagne entre 2003 et 2005, qui ont contribué à l’explosion de la pauvreté.
Dans les prochains jours, doit être également discutée la seconde partie de la loi, qui vise à renommer Pôle emploi en France Travail. Dans l’hémicycle, Hadrien Clouet a déposé un amendement pour lui préférer le nom de « France Travail gratuit ». Il a été rejeté.
Pauline Graulle et Cécile Hautefeuille
Depuis le 7 janvier 2023 notre confrère et ami Mortaza Behboudi est emprisonné en Afghanistan, dans les prisons talibanes.
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Triste que avoir un gouvernement qui ne soit pas raciste soit de la science fiction...