C'est un article de France, mais j'imagine que ça nous touche aussi. L'article complet est disponible ci-dessous.
TLPL : les fonds ESG, comme GEQT ou autres, ça ne change pas grand chose...
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FINANCE DURABLE Contre l'«arnaque du siècle», un banquier vert de rage
Par GUILLAUME GENDRON et THÉODORE LAURENT
1/ A quoi reconnaît-on un banquier repenti ? Il donne rendez-vous à côté d'un hôtel Kyriad, loin des palaces du triangle d'or. Celui que l'on retrouve par un matin orageux dans un café parisien l'est doublement : repenti de la finance la plus rapace, puis de celle dite «durable». A l'heure où la France et l'Europe misent sur le verdissement des marchés, soudainement préoccupés par l'état du monde, il faut écouter ce Canadien de 45 ans aux joues glabres, biceps saillants dans un tee-shirt noir, débit mitraillette volontiers digressif. Tariq Fancy trimballe une intensité de pile électrique, quelque part entre le startupper et le comique de stand-up. Dans une vie antérieure, il fut un «big shot» à Wall Street.
Au début des années 2000, le prodige grimpe quatre à quatre les échelons de ce que la finance fait de pire, les «fonds vautour», qui planent au-dessus des sociétés en détresse, Etats en faillite et secteurs sinistrés, à l'affût des dernières gouttes de cash. «Ça m'a rendu allergique au bullshit», note-t-il. Il faudra s'en souvenir. Dix ans plus tard, à peine trentenaire, une première crise de vocation. Syndrome du «gosse fort en maths qui prenait deux bus pour aller à l'école» et qui, de bourses en promotions, s'est retrouvé sur le toit du monde sans jamais y avoir réfléchi. Le décès prématuré d'un collègue au parcours similaire, en octobre 2012, lui apprend que la vie est courte. Ce fils d'immigrants indokenyans de la banlieue de Toronto abandonne alors la cravate et crame ses économies dans la création d'une ONG, The Rumie Initiative, consacrée à l'éducation des enfants défavorisés grâce à des cours en ligne gratuits.
En 2017, Wall Street vient à nouveau taper à sa porte. Et pas n'importe qui : Larry Fink en personne le débauche. Soit le patron de BlackRock, la plus grande société d'investissement et de gestion d'actifs au monde, dotée de droits de vote dans des centaines de conseils d'administration autour du globe. Le fils d'un vendeur de chaussures devenu roi des marchés, les mains tachées de pétrole. King Kong perché sur l'Empire State Building, un homme bien plus puissant qu'un chef d'Etat. A l'entendre, Larry Fink est alors sur le chemin de Damas, reniant les prêches de Milton Friedman, gourou du «monétarisme» et chantre de l'ultralibéralisme. Il juge désormais que la finance ne peut pas être entièrement tournée vers le profit des actionnaires, mais doit aussi prendre en compte le reste de la société alors que la planète brûle. Et, tant qu'à y être, sauver le monde ?
Le concept est en vogue depuis une dizaine d'années, et prospère sous diverses appellations, aussi pompeuses que nébuleuses : finance «verte», «durable» ou «responsable», «investissements à impact» et enfin «révolution ESG». Trois lettres censées distinguer les bons élèves parmi les mastodontes du capitalisme mondialisé, autour des enjeux de l'environnement (E), du progrès social (S) et de la bonne gouvernance (G). L'abréviation fourretout finira par s'imposer à travers la création de nouveaux produits financiers prétendument plus vertueux, le lancement de bruyantes campagnes sociétales (de Disney à Nike, dévoyant les mouvements #MeToo ou #BlackLivesMatter), l'émergence d'index boursiers ad hoc et d'agences de notation spécialisées, la constitution de portefeuilles d'actions plus ou moins décarbonés, l'émission d'obligations vertes, la mise en place de conseils d'administration un peu moins pâles et mâles, etc.
Larry Fink voit en Tariq Fancy la pépite à même de mener ce combat. D'abord parce qu'il est un oxymore ambulant. «Il savait que j'avais été un prédateur à mes débuts, le type qui joue des coudes avec tout le cynisme qu'il faut pour piger la finance, déroule le repenti. En même temps, j'étais celui qui avait tout laissé tomber pour monter sa petite asso.» La rencontre a lieu dans le saint des saints, le bureau du boss au siège de BlackRock, sur la 52e rue de Manhattan. «Fink me dit : "Tu peux être les deux [le financier et le philanthrope, ndlr] en même temps. Et tu auras BlackRock et ses 10 000 milliards de dollars d'actifs derrière toi." Comment dire non à une telle proposition ? Je me suis dit qu'avec cette puissance de feu, on allait vraiment faire bouger le système.»