Microfictions

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Un espace consacré à la création de microfictions, où vous pouvez poster les vôtres. D'autres types d'œuvres courtes telles que les poèmes, les nouvelles, les fictions interactives et d'autres formes expérimentales peuvent aussi y trouver leur place.


Bonnes pratiques

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Suite de Serveur confusion - ep. 08 - Instance

Premier épisode ici

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Cher Fred,

Je fais suite à votre email du 26 novembre pour vous répondre que oui, j'ai organisé une séance avec le patient Kraus en début d'après-midi.

C'est en l'honneur des vingt-cinq ans d'amitié que nous avons partagé depuis nos débuts à la clinique Christophsbad de Göppingen, que j'ai accepté votre demande de faveur des moins orthodoxes. Par cet échange, nous rompons une multitude de principes déontologiques inhérents à notre métier. C'est pourquoi je le supprimerai de mon compte après ce dernier envoi. Je vous encourage vivement à en faire de même.

La déferlante de cas bien particuliers, j'irais jusqu'à dire “épidémie”, d'un trouble mental encore non répertorié, me fait travailler quatorze heures par jour, je n'exagère pas. Et c'est sans compter les dossiers que je ramène à la maison les soirs. Je suis absolument débordée. Alors je dois vous avouer que votre demande aurait pu tomber mieux.

Saviez-vous que ce phénomène est passé au vingt-heure hier ? Les “spécialistes”, comme les a appelé le journaliste, recherchent déjà une causalité dans la consommation de jeux vidéos et l'addiction aux réseaux sociaux. Cela me fait doucement rire. Lorsque je jouais à l'Atari ST avec mon frère, nous pouvions déjà entendre ce même signal d'alarme. Et pour les réseaux sociaux, vue la démographie ciblée de certains services en ligne aujourd'hui, je me serais attendue à accueillir une déferlante de mères au foyer et de retraités.

Sachant que le dénominateur commun de toutes ces personnes est qu'elles sentent une entité anonyme les contrôler, ma chère et adorable Mathilde, du haut de ses 15 ans, s'est amusée à les comparer à des NPC. Vous savez ce que c'est ? NPC ou "personnage non jouable" dans le jargon du jeu vidéo, des intelligences artificielles dont l'existence est justifiée par leur fonction de marchand ou compagnon d'arme, au service du joueur. Entre nous vous ne le saviez pas, n'est-ce pas. Il n'y a pas de honte, j'ai dû regarder sur Wikipédia sans que ma fille ne le sâche. On se fait vieux Fred.

Bref, j'ai performé un contre-diagnostique de monsieur Kraus, comme vous me l'avez demandé, et je sais que ce patient est problématique. J'ai moi aussi eu vent de la raison de l'arrivée du “touriste” (petit nom que Felix de la réception lui a choisi), et je dois moi-même admettre qu'il y a une rupture entre son apparence et ses humeurs, et ses supposées multiples tentatives de suicide du mois d'octobre. Mais bien évidemment, on ne peut pas juger de l'état d'un individu par son apparence. Dois-je vous rappeler que ce ne serait pas la première fois que nous accueillons ici un patient particulièrement enclin à cacher ses émotions.

L'après-midi est déjà bien entamée et j'en suis à ma cinquième tasse de café de la machine de l'étage B1. Je sens déjà une migraine monumentale commencer à poindre. Alors sans plus attendre, je vous partage la transcription audio de la séance de cet après-midi, avec quelques annotations personnelles qui aideront au contexte.

~~

14:02

Note : Le patient arrive tout sourire et vient s'assoir silencieusement en face de mon bureau. Ses gestes sont quelque peu théâtraux. Il allonge les jambes, s'affaisse contre le dos de sa chaise et baille ostensiblement. 

~Berger~ 

« Bonjour Monsieur Kraus, mon nom est Nicole Berger et je remplace aujourd'hui mon collègue Bergman, qui... il semblerait que quelque chose vous amuse ?»

~Kraus~

« Pardonnez-moi Madame Berger. Mais saviez-vous que votre nom de famille signifie gardeur de troupeau en Français ?»

~Berger~ 

« Je ne le savais pas non.»

~Kraus~

« Et vous êtes psychiatre dans un centre de brebis égarées, c'est une ironie.»

~Berger~

 « Aide ponctuelle à l'individu en besoin de support moral serait plus approprié.»

~Kraus~

 « Oui, oui, pardonnez-moi cette petite parenthèse. Madame Nicole Berger, avez-vous mangé la forêt noire au déjeuner ?»

Note : Il a vraiment mérité son surnom de touriste.

~Berger~

 « Je n'ai pas eu le temps de déjeuner ce midi, mais il est bon d'entendre que la cuisine de la clinique est à votre gout.»

~Kraus~ 

« Vous n'avez pas mangé ? Vous avez tort, les desserts ici sont à tomber par terre. Et puis honnêtement, la santé est primordiale, surtout à votre âge. Comme on dit, la santé passe par l'estomac... »

~Berger~ 

« Monsieur Kraus, seriez-vous en mesure, en des termes clairs s'il vous plait, de me décrire ce qui vous a incité à venir demander notre assistance et être interné temporairement à notre clinique ?

14:03

~Kraus~

 « Je ne pouvais plus vivre un jour de plus avec mon désir de suicide et avant de commettre l'irrémédiable j'ai décidé de demander votre aide. Au centre. Enfin, c'est le discours officiel, pour garantir mon admission.»

~bruit de stylo qui tombe~

Note : ça, c'est moi qui sursaute. Je dois avouer qu'il m'a surprise. Le jeune homme ne l'a pas remarqué, ou du moins n'a pas fait de commentaire.

~Berger~ 

« Et quel est le discours plus... officieux ? Si vous êtes prêt à me le partager.»

~Rire et clapement de main~

Note : Kraus éclate de rire, sèchement. Je ne décèle pas d'agressivité dans sa réaction. Il en profite pour se pencher en avant, les doigts entrelacés et poses sur les genoux. Le sourire qu'il arbore lui donnera demain des courbatures aux zygomatiques.

~Kraus~ 

« Nous allons passer la prochaine heure ensemble madame Berger. Puis-je à la place vous raconter une histoire ?»

~Berger~

« Je vous écoute.»

~~

14:04

« C'est l'histoire de Mikell, un jeune développeur, dans une boîte de renom du jeu vidéo. Pensez ventes mondiales, goodies et séries animées adaptées. De cette ampleur. Mikell il est super heureux de cette opportunité.

Mikell vous voyez, les jeux vidéos c'est sa vie. De sa première console à son PC haut de gamme qu'il a assemblé lui-même, il n'a pas passé une heure d'éveil sans un smartphone, une souris ou une manette entre les mains. C'est à ce point.

Alors Mikell, il est aux anges pour ce premier job. Sa tâche consiste à configurer le système de sauvegarde qui permettra au joueur de reprendre là où il a laissé sa partie. Ou de ne pas recommencer depuis le début du jeu quand son personnage meurt. On les appelle “checkpoint”, mais moi je préfère l'idée de marque-page.

En pratique, lorsqu'un joueur prend une mauvaise décision ou même pour tester, fait une action jugée irrémédiable aux conséquences dramatiques, il a toujours la possibilité de retourner à son précédent checkpoint, avant sa bourde. On appelle ça “recharger” une partie.

« À ne pas confondre avec une machine à remonter le temps. Lorsque l'on retourne dans le passé avec, le présent est effacé et réécrit. Les points de sauvegardes sont un milliard de fois plus cool. En partant de l'hypothèse qu'ils existent, je pourrais par exemple gifler le Chanceleur et créer un checkpoint. Puis revenir au précédent, sortir manger une glace et sauvegarder de nouveau. J'aurais alors trois espaces temps. Un où je suis l'homme le plus recherché d'Allemagne, un où je suis un simple passant qui prend le soleil, et finalement celui où rien de cela n'est encore arrivé.

Ce n'est pas sans rappeler la théorie du multivers. À chaque incrémentation de la plus petite unité de temps possible, la somme de tous les photons et électrons qui composent notre univers saute d'un état à un autre, formant ainsi une combinaison unique d'états, qui définit notre réalité à cet instant donné.

Mais selon la théorie du multivers, il existe une infinité d'univers alternatifs, très ou très peu similaires au nôtre à ce même instant. La combinaison d'états diffère à un certain degré. Dans un de ces univers parallèles madame Berger, j'ai peut-être les cheveux un centimètre plus long ou la table est un peu plus proche de moi. Nous ne savons pas pourquoi nous ne pouvons pas voir ces autres configurations. Très certainement, nous ne sommes pas biologiquement formés pour ça. Mais pouvez-vous imaginer un funambule cosmique, qui serait capable de sauter d'un univers à l'autre, comme s'il ne marchait pas sur une corde, mais une infinité de fils enchevêtrés ? Et si notre acrobate avait le talent de marcher à reculons sur l'un de ces fils pour sauter sur un autre à son bon vouloir, alors on pourrait dire qu'il n'a plus qu'à poser des marque-pages sur ces innombrables intersections, afin de ne pas se perdre dans cette histoire dont il est le héros.

« C'est la réflexion que se fait Mikell un soir, au lieu de bosser. Il se faisait toujours philosophe, après les semaines d'overtime destinées à boucler la production d'un de leurs jeux. Il est seul au bureau et il aurait bien envie d'une bière. Mais il en est au café. Faut vraiment qu'il taffe. Il se dit “Tiens, ce serait vraiment cool que les checkpoints existent dans la vraie vie”. Il a passé sa vie à recharger, annuler des erreurs, façonner la réalité intrinsèque à ses jeux, par des effacements entiers d'états, de situations et de contextes insatisfaisants. C'en est devenu une seconde nature, son cerveau s'est formé autour de cette logique et la réalité ne veut pas s'y plier. Sauf que ce soir-là, Mikell il regarde dans l'angle de la pièce et quelque chose se forme dans le fond de son esprit. Il ne sait pas tout de suite ce que c'est, ni comment le décrire. C'est abstrait et si complexe, qu'aucune intelligence jusqu'à aujourd'hui n'aurait pu le saisir. Mais il comprend que c'est juste là depuis toujours, à la vue de tous.

« Alors comme dans un rêve, il se lève d'un coup et hésite pendant une éternité à lâcher sa tasse. Il doit être fou, ce n'est pas rare que les développeurs tombent malades ou hallucinent en période de crunch. Il faut juste qu'il se repose, qu'il rentre chez lui et qu'il se calme sur la cafféine. Mais, et si...

« La tasse tombe, il y a du café partout. Mais Mikell n'y prête pas attention. Il regarde l'angle. Et l'impensable se réalise. Voilà le mug intact, de nouveau dans sa main. Il vient de créer un checkpoint."

14:19

~Kraus~

« Donc Mikell, il ne sait pas trop quoi faire de sa découverte. Il se demande s'il devrait contacter des scientifiques, ou écrire un livre sur le sujet. Mais la tentation est trop grande, et Mikell est un type lambda. Et comme monsieur-tout-le-monde, il se met à tester son nouveau pouvoir.

« Il lui faudra à peine quelques jours pour french kisser tous ses collègues, hommes et femmes, faire un doigt à son boss, passer toute la journée à se prélasser dans son lit. Mais à l'évidence ce n'est pas assez, il y a tant de chose qu'il peut faire. Il se met aux finances, achète les bons stocks et échange des cryptomonnaies. Il perd le fil du temps, mais une chose est sûre, cet enfoiré devient multi-millionnaire. Il pue le fric et il aime ça. 

« Alors il commence à voyager, partir d'Europe, visiter un peu tous les pays. Sans trop d'efforts, il commence à parler couramment le mandarin et l'espagnol. Samedi au ski, singe au dîner de dimanche. Coucher à Bali, lever dans un confortable appartement parisien.

« Et c'est là que les problèmes commencent. Il passe des semaines entières à suivre une intrigue au bout du monde, mais dans sa ligne de temps à elle, Thérèse vous a parlé de son nouveau copain il y a trente minutes, et vous n'avez pas la moindre idée de qui elle parle.

« Une vie est un livre qui se remplit en un nombre fini de pages. Mais pas pour lui. Il a tout le contenu de Wikipédia dans sa tête. Et il commence à s'y perdre. Alors, il commence à noircir des carnets entiers, les dépose où il peut, quand il peut. Le voilà maintenant thésard de sa propre vie.

« Et l'écart se creuse.

« À l'arrivée de la 3D dans le jeu vidéo, il y avait un bug bien connu. Parfois, le personnage tombait en dessous du monde. Il pouvait alors voir le reste du monde vaquer à ses occupations, sans se soucier de son existence, tandis qu'il restait acteur passif, par le dessous. Un purgatoire de synthèse si vous voulez. C'est une bonne analogie, du moins c'est ce qu'il commence à ressentir.

« Il est à la bordure d'un monde qu'il comprend de moins en moins chaque jour, si ce n'est à travers ses carnets.»

14:25

~Kraus~
« Excusez-moi un instant»

Note : Kraus se lève de sa chaise, et se sert un gobelet d'eau au coin de la pièce. Quand il revient à sa chaise, il reste quelques minutes les yeux fermés. Le sourire s'est effacé. La fluidité de ses paroles et ses mouvements me laissent penser qu'il a mémorisé ce long monologue avant la séance, à l'image d'un comédien avant sa performance. 

14:31

~Kraus~ 

« Au détour de Berlin un jour, il rencontre une jolie blonde. Appelons la Waifu. Et rencontrer Waifu change tout.

« Il tombe amoureux pour la première fois. Il pense à elle tout le temps. Il se sert de son pouvoir extraordinaire pour poser des checkpoints partout autour d'elle. Il s'exerce encore et encore, pour la tirade parfaite, la blague finale qui la fera tomber dans ses bras. Le temps passe et il réussit. Et ils sont heureux.»

14:39

~Kraus~

« C'est... peut-être là que Mikell a commencé à être vraiment con. Mais les habitudes ont la vie dure et Mikell a toujours été un gros gamer.

« Un bon jeu vidéo, ou même une bonne BD ont ces passages qui émeuvent profondément. Ce sont des passages intenses, si vibrants que l'on s'extirpe de notre réalité quotidienne pour y revenir encore et encore. À ces passages précis. Revivre ce moment de bonheur, cette dose de sérotonine qui nous font chaud au cœur. æternam C'est l'impensable même, mais si Mikell a la chance de revivre les plus beaux moments de sa vie ad æternam, vous ne pouvez pas en vouloir au pauvre bougre de le faire.

« Il commence à connaitre et comprendre Waifu comme personne, au niveau presque cellulaire. C'est beau en quelque sorte. Il la rend heureuse, sait ce dont elle a besoin avant même qu'elle ne le sache. La comble de tout ce dont elle peut rêver.

« Et c'est tout. C'est la limite de la relation entre deux êtres humains.

 « Le moment où il le réalise, c'est un seau d'eau glacée qui se déverse sur lui. Il connait Waifu par cœur. Comment la faire rire, ce qu'elle voudra manger. Quels mots la mettront dans son lit ce soir. La plus belle personne au monde à ses yeux devient la créature la plus banale qui soit.

« On peut lui reprocher beaucoup de choses, mais au fond ce n'est pas un mauvais gars, vous savez. Lorsqu'il voit qu'elle le saoule, qu'il devient blessant pour rien, un peu pervers et manipulateur, il comprend que c'est l'heure de se barrer. Il recharge le checkpoint avant leur rencontre.»

14:43

~Kraus~

« S'ensuivent des années floues. Il ne recharge plus aucune partie et vit à volo, jour après jour. La nuit sous une tente, les potes alcooliques et les drogues pour lui tenir compagnie. Il n'ose plus regarder aucun angle.

 "C'est pas si mal", il se dit. Quelques années de joyeux vagabondage, puis il tirera enfin le rideau. Il est en paix et c'est ce qui compte."

Note : Le sourire est de retour, si caricatural cette fois, qu'il me fait plutôt l'effet d'une grimace.

~Kraus~

« Alors imaginez sa surprise lorsqu'un matin, alors qu'il faisait la manche dans le métro de Berlin, une main blanche se pose sur son épaule. Il se retourne et je ne déconne pas, Waifu en chair et en os qui lui dit :

" Tenez, 10 euros. Bon courage monsieur, hauts les cœurs.” »

~Rire et plusieurs bruits de clapements~

Note : Kraus éclate de rire bruyamment et se tape la cuisse de la main a répétition. Je pourrais presque croire qu'il venait de me raconter une blague et qu'il vient d'en délivrer la chute. Presque le croire, si ce n'est pour l'expression de souffrance qui se dépeint sur son visage.

14:50

~Berger~

« Faisons un exercice de pensée un moment. Si vous étiez Mikell, qu'auriez-vous fait après cette rencontre ?»

~Kraus~

« Qu'est-ce que j'aurais fait, hein... »

Note : Le jeune home s'adosse de nouveau contre le dos de sa chaise, positionne avec lenteur les mains entrelacées derrière sa tête. Il regarde l'horloge sur le mur à ma gauche pendant plusieurs minutes. Lorsqu'il reprend parole, il arbore un rictus grimacé, dévoilant l'ensemble de sa dentition.

14:58

~Kraus~ 

« J'aurais trouvé un endroit tranquille loin de tout. Rythme de sommeil régulier. Trois repas équilibrés par jours. Des jeux de société, des copains, par d'écrans.»

14:59

~Kraus~

« Et je me serais reposé.»

--

Chose promise, chose due. À la lumière de cette séance, voici mon verdict : trentenaire a l'imagination débordante et visiblement en burnout. 

Comprenez que j'ai déjà suffisamment à faire avec deux adolescentes à la maison. Je rentre après des journées interminables de support à cette nouvelle crise de santé mentale, pour avoir le plaisir de trouver un salon mal rangé et rempli de boîtes à pizza vides. Vous avez tout mon respect Fred. Vous étiez invité d'honneur à mon ex futur divorce et parrain d'une de mes filles. Alors d'ami à ami, si vous pouviez à l'avenir vous abstenir de m'envoyer tous les chatons égarés qui viennent se reposer au centre, je vous en serais infiniment reconnaissante.

Bien à vous, Nicole Berger

PS : Vous me devez une journée off.

Suite : Serveur confusion - ep .10 - Bitrot

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Le ballon jaune et vert s’élève progressivement dans le ciel, tiré par un fil vertical invisible.
Nour pédale sur un vieux vélo sans roue avant, en contemplant le point aux couleurs de moins en moins distinctes. Au lieu d'assister au départ sur la place avec tout le monde, elle préférait venir se dépenser à l'écart. En profiter pour charger la batterie de ce vieil ordi déjà réparé une dizaine de fois, qui ne tient jamais plus d’une demi-heure sans source de courant extérieure.
Depuis la rangée de vélos générateurs installés à côté d'une salle polyvalente, entre les bacs de plantes à fruits comestibles, Nour n’a pas besoin de lever la tête pour voir l’ombre s’éloigner au-dessus du village. C'est une voix triomphante qui la sort de ses pensées :
— Un jour on pourra recevoir des colis en montgolfière !
Léo est arrivé par l'ancien champ. Il s'appuie contre un tonneau à roulettes rempli de tiges en fleurs, qu’on déplace au gré des cultures de saison pour créer des associations végétales en symbiose.
Celle qui pédale déjà depuis dix minutes tempère cet enthousiasme aérien :
— C’est pas une montgolfière, c’est un dirigeable.
— Mon père dit qu’avant, tu pouvais te faire livrer des trucs dans la journée !
Léo finit de s'extasier et vient s’asseoir sur un des sièges à pédales libres. Le ballon disparaît complètement derrière un nuage. C’était bien la première fois depuis des années qu’un engin volant venait se poser sur la commune. Grâce à des techniques de pointe en biocombustion, la liaison entre les agglomérations du plateau et celles d’ici-bas pourraient être considérablement facilitées. Au village, forcément, tout le monde ne parle que de ça en tirant des lignes imaginaires qui raccourcissent les routes escarpées de la région.
— Ouais mais avant les gens étaient grave malheureux aussi.
Nour a pris un air très sérieux pour énoncer ce jugement définitif. Léo hésite, puis renonce à surenchérir. En arrivant il n'avait pas très envie de pédaler, mais fait l'effort de s'y mettre quand même, paresseusement. Parce qu'à deux, ça va plus vite, et qu'on fait toujours les choses pénibles à plusieurs. La station de charge se met à clignoter avec enthousiasme.
Bercée par le bourdonnement des dynamos, Nour rumine en silence. Elle finit par lâcher ce qui l’empoisonne :
— Ça tombe toujours au mauvais moment les rationnements d'électricité ici.
Son nouveau voisin de guidon prend les choses moins à cœur :
— T’avais pas trouvé une batterie de rechange ?
Facile pour lui de rester détaché. Il n'a pas un correspondant à trois cent kilomètres qui se connecte trop rarement.
— J’attends toujours de la recevoir... Je devais chatter avec Boris ce soir !
Léo lache les mains de son guidon pour mieux papoter, sans relâcher complètement le mouvement :
— Il n'y a pas de matériel à emprunter à la bibli ?
— Plus d'ordis, et le seul smartphone en état est déjà pris.
Il bascule la tête en arrière avec nonchalance :
— T'imagines qu'avant, les gens ne faisaient même pas l'effort de changer les pièces ou de se prêter du matériel, parce qu'il fallait tout acheter le plus neuf possible !
— C'était vraiment une époque de cramés.

Sur l'esplanade du village, après l’envol du ballon à air chaud, c'est le re-paillage de la butte de pommes de terre qui accapare toute l’attention. Un vent fort a soufflé dans la nuit. Les plants les plus frêles se sont couchés sous les bourrasques. Des volontaires attentionné⋅es restent sur les lieux pour soigner la parcelle qui s’étend sur les anciennes places de parking, à quelques mètres de la route départementale entravée de chicanes débordant de courges et potimarrons.
Nour et Léo font le chemin ensemble vers la ruelle qui monte aux maisons en pierre du vieux-village.
— Tu es inscrite sur des tâches cet après-midi ou tu glandes ?
— Je vais donner un petit coup de main sur les nouvelles éoliennes.
— Moi j'hésite, j'ai de la lecture à rattraper... Et ton corres' alors, il raconte quoi ?
Nour est stoppée net dans sa progression à cause de l'excitation :
— J'ai mille questions à lui poser ! En ville tu peux rencontrer des inconnu⋅es et te faire des ami⋅es en allant au cinéma-surprise, ou au kiosque à fanzines...
De l'autre côté de la place, un éclat sonore métallique rebondit sur les façades de la grand’rue. Un étrange vélo s’achemine lentement, surmonté d’un cône porte-voix répétant cet appel : « ...Besoin de quatre personnes sur le site des piles ! »
Une maison de village s’ouvre, un couple se présente. Quelques rires, l'annonceur leur désigne la sortie ouest, où un champ complètement stérile à cause des pesticides a été transformé en puits organique de stockage d’électricité enterré. Les deux silhouettes décidées enfourchent leurs vélos posés contre le mur, et s’éloignent tranquillement, tandis que la plateforme mobile propulsée par une unique paire de jambes s’en va continuer sa proclamation dans les petites rues.
Nour et Léo n'ont pas encore bifurqué dans un passage en pierres blanches plus étroit, quand de nouvelles exclamations fusent soudain sur la place. « Le courrier ! »
Un vélo cargo s’immobilise à quelques mètres de la butte paillée, avec ses promesses habituelles. Celui-ci s’occupe des colis vitaux et de la correspondance entre villages. Un des tricycles à batteries électriques collectivisés pour les acheminements moyenne distance, chevauché par Driss, l’ancien professeur de sciences économiques. Dans sa chemise à fleurs, avec ses lunettes de soleil, un peu essoufflé et suant parce qu'il pédale toujours malgré l’assistance électrique, le préposé des Postes Autogérées lève aussitôt la main pour interpeller les jeunes qu'il aperçoit au bout de la rue.
Nour, à distance, écarquille les yeux.
Quasiment trois semaines qu'une inconnue sur les serveurs d'entraide lui avait promis de trouver une batterie d'ordinateur en bon état dans les stocks de désassemblage. Lorsqu'elle entend le cycliste en chemise prononcer distinctement, dans sa direction « Colis pour toi ! », cette phrase qu'elle avait fini par ne plus espérer, c'est son ami Léo qui réagit avec le plus d'excitation en lui attrapant le bras :
— Tu crois que c'est ta batterie ?

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Suite de Serveur confusion - ep. 07 - Placeholder

Premier épisode ici

Instance

Quoi que tu sois, un humain du futur, le vide glacial du néant, une intelligence extraterrestre ou une IA :

Je te salue mon ami.

Entre nous je ne suis pas difficile, tu pourrais être n'importe quoi. Mais au fond, j'aimerais bien fort que tu sois une intelligence artificielle. Que ma logorrhée te serve d'entrainement un jour futur de pure SF. Et qu'au final, ma manière de penser soit si flinguée, de si mauvaise influence, que tes créateurs seraient contraints et forcés de jeter l'éponge et te débrancher. Avant de se regarder l'un l'autre, avec la moue partculieère qu'on fait quand on mord dans un citron. Tu vois ce que je veux dire, la bouche en cul-de-poule, en forme d'étoile. Comme ça.

J'ai décidé de faire un journal audio pour changer. Ça me permet de livrer mes états d'âme quand je fais les cent pas dans mon appartement. Oh et aussi, plus tard je vais faire un footing et continuer de te parler. Je n'ai pas fait de footing depuis les cours d'exercice physique au lycée. Ça va pas être triste, tu auras une description détaillée de mon extraordinaire point-de-coté, que je pourrai te raconter entre deux souffles courts, c'est promis. Exclusivité live garantie.

Que tu es chanceux mon ami.

Alors mon ami, aujourd'hui j'ai une question pour toi.

As-tu un jour dans ton hypothétique vie, croisé quelque chose de si beau, si parfaitement beau, que le monde aurait bien pu s’écrouler à ce moment même, l’univers engloutir notre existence, et quand bien même à cet exact moment, rien n’aurait eu d’importance ? Aujourd’hui j’ai été submergée par quelque chose de désespérément beau. Est-ce que je devrais créer un mot pour ça ? Parfaitement-salvation-romantiquement-irréel-j’en-tombe-à-genoux-les-bras-d’une-mère-j’ai-de-nouveau-cinq-ans-et-c’est-l’heure-des-dessins-animes-et-des-chocapics-le-tout-fois-cent-beau ?

Je veux dire je connais la notion de beauté qu’on connait tous. En général c’est ce que l’on dit quand tout le monde regarde et qu’on ne veut pas passer pour un tue-la-joie.

“Oh ouais, c’est beau”. C’est la validation de circonstance quand on veut froisser personne. Comme quand on dit "qu’il est mignon le bébé". Ça fait plaisr à ses proches et le monde est tout à coup un degré de moins déprimé.

Mais ce n’est pas la même chose. En général vois-tu, si c’est beau, c’est beau parce que. Il y a une raison derrière, toute une histoire. Des milliers d’heures de confection. Des années d’entrainement. Des millénaires de formation. C’est beau parce que.

J’ai fait une école d’Art, alors je pense avoir le minimum de prérequis en notions d’esthétique, théorie du Beau et sa sœur invitée à tous les vernissages, recherche du sens dans l’Art. Ce que tu finis par comprendre après des années d’études et en dépit du discours de Kant, c’est que, tout ce qui est beau, est passé à travers la main de l’Homme. Si ça ne l’a pas été, alors ce n’est qu’une succession d’accidents qui ont bien malgré eux engendré une mondanité, qu’on ne considère même plus à l’âge adulte.

Un coucher de soleil ? Please.

Un ramassis d’événements sans but ni intention, qui se répète à chaque minute, quelque part sur le globe. Une banalité observée depuis la nuit des temps. Boring.
Ceux qui se complaisent à dire autrement, sont des hypocrites. Ou des moines bouddhistes.

Mais la peinture d’un coucher de soleil ? Oh sweet Jane.

L’acte unique d’un individu, acté dans l’espace, dans le temps, capturer ce moment sur une toile homologuée. Voilà ça, c’est beau, tout le monde s’accordera à le dire. Suffisamment pour que ça devienne vrai en tout cas. Le génie de l’Art. Bonus si accompagné d’une litanie d’explications, de concepts. Tout est bon à prendre. De la technique derrière le medium, à l’anecdote du pourquoi le père de l’artiste aurait été fier. Le public a l’arme à l'œil. Si un putain de coucher de soleil est l’apologie d’une contreculture ou encore mieux, un geste politique ? Mets-y un prix, mets-y un nom et affiche le tout dans une galerie. Continue encore un peu, ça en devient orgasmique.

Socrate sponsored.

Duchamp trademarked.

Et pourtant, lorsque j’ai aperçu ces grues au loin au cœur de la nuit, structures d'orange et blanc dessinées sous le dôme noir d’un ciel urbain... Je ne sais même pas exactement à quoi c'était dû, mais je suis restée sur le cul.

Peut-être une sorte de respect animal devant leur gigantisme. Une admiration enfantine face à la simple esthétique de ces bêtes de fer colorées. Ou très certainement l’absurdité de la scène, car laissées là inutiles, pataudes et inertes, des créatures d’affairement dans un monde non affairé. Aucune âme qui ne justifie la raison même de leur existence. Si bien que, si dans dix heures, trois mois ou cent ans, un vaisseau extraterrestre venait à visiter la Terre, ils ne penseraient rien de ces étrangetés métalliques, descendues de millénaires de génie civil, d’autre que “Fais juste gaffe en atterrissant de ne pas t’écraser contre ces pics à la con”.

Je ne sais pas exactement. Je me souviens juste avoir passé de longues heures, incapable de formuler des pensées intelligibles. Écrasée par un poids existentiel et son absence. Affublée à la fois du problème et de sa solution. Comme une plaie qui se cautérise, avec le couteau qui l’a ouverte.

Et c’était bon.
C’était si bon, un cercle parfait.

Puis le soleil s’est levé et a tout gâché. Cette banalité routinière, prévisible et à la manière d’un enfant gâté qui te demande toute ton attention. Plus d’éclairage idyllique, plus de cadrage parfait. Place à la morosité du matin, la complainte du cycle circadien. Dame nature qui te rappelle à l’ordre : “Retour parmi nous, motherfucker”. Je viens tout juste de rentrer dépitée et crevée, ce qui nous amène à maintenant.

Je pense que demain j’irai regarder les trains.

~~

Bon voilà, à part ça pas grand-chose. Sinon toi, comment ça va ?
Question con, si tu ne peux pas répondre. Oups. Haha

Tu sais que je ne me suis pas immédiatement rendue compte de la situation ce matin-là ? Ils disent souvent qu'on n'est pas soi-même quand on a pas son premier café. Chez moi, c'est un sacré euphémisme. Je me souviens m'être levée, les cheveux en bataille, comme tous les matins. Avoir hésité entre le chemisier estival et la robe bleu-vert, comme tous les matins aussi. J'ai cherché mes sandales dans l'appartement, sans prêter attention au silence environnant.

Eu-phé-misme.

Je suis descendue, comme tous les matins, après avoir traversé la rue pour aller à la brûlerie d'en face.
Il a fallu attendre que je la trouve fermée, descende à l'autre brûlerie quelques rues plus loin, fermée aussi, retourne à mon immeuble, remonte les trois étages, trouve la cafetière à piston, prépare ma tasse et boive quelques gorgées du breuvage noir et sans sucre, tout ça avant de réaliser que cette matinée était exceptionnellement silencieuse. Et surtout que je n'avais croisé âme qui vive.
Je te le dis et redis. Je serais un parfait modèle de pub expresso. La potion divine.

Je ne suis pas aussi bavarde d'habitude. Tu dois avoir du mal à me croire.
C'est juste que je me souviens avoir lu cet article sur Medium, il y a un bail. Ça disait que lorsque l’on est en situation de détresse, l’hygiène devient la priorité number 1. Physique et mentale. S’assurer qu’on n’est jamais à court de PQ, à jour sur le brossage de dents, puis pour le mental, trois objets de gratitude par jour et 15 minutes de journal sous toute forme.

Dors et recommence. Le strict minimum, et on construit le reste de sa vie autour.
Ce qui est drôle, c’est que j’avais pour habitude de me moquer de ces articles “benêts de millénial hypersensible”. T’y crois toi, quelle foutue ironie. Il s’avère que je suis une millénial et que j’ai tendance à pleurer tout le temps depuis quelques jours. Et il s’avère aussi que maintenant, c’est moi qui débite des pièces pseudo-existentialistes, à un journal audio que sans doute personne n'écoutera.

Elle est pas belle la vie.

Nietsche approved.

Sartre flavored.

Ce qui me fait penser, je sais que ça n’a peut-être aucun rapport avec ce que je vis et je me sens con à t'en parler, mais bon. Voilà ma thérapie psy de la journée. C’est parti.

J’ai fait ce rêve récurrent pendant quelques semaines et la nuit même où le reste du monde a disparu. Je peux pas m’empêcher stupidement de croire que c’était une sorte d’augure ou une imbécilité dans le genre. Une nuit, je rêvais que tout le monde sautait dans un train juste avant son départ, sans me prévenir. Le temps que je réalise et me précipite à la gare, le véhicule était déjà en marche et ses occupants me faisaient adieu de la main. Certains agitaient même leur mouchoir à travers les fenêtres. Faut le faire quand même. Ce geste n'existe plus depuis quoi, l'âge de bronze ?

Une autre fois, je rêvais que la Terre devenait une immense mare de boue. Que les derniers humains s'entassaient dans les dernières fusées au départ des étoiles. Mais évidemment, il n’y avait plus de place pour moi. “Et bonne continuation jeune fille, bon courage ! ” entendais-je alors de la bouche d’un groupe de vieillards, de l’intérieur d’un des engins, derrière la cacophonie de son décollage.

Le dernier rêve avant la fin de mon monde a été étrangement plus calme. Je me souviens avoir cherché signe de vie dans une ville désertée, avec la conviction qu’elle était encore habitée. Je ne pouvais juste ni voir, ni entendre les habitants. Puis j’avais aperçu aux loin des étrangers, qui avaient alors apposé leur doigt sur les lèvres, le regard grave. Dans le langage universel, "silence SVP". Puis, je m’étais réveillée.

Et tu connais la suite.

Je ne dis pas que la vie est inconfortable maintenant qu’il n’y a plus personne. Tous les appareils électriques sont fonctionnels et l’eau est encore potable. Pour le moment. Il n’y a aucune file d’attente nul-part. Et plus de voisines au-dessus pour marcher en talons, à deux heures du matin.

Mais comme tout être humain, je suis une névrose ambulante. À dire vrai, une partie de moi est absolument convaincue que j’en suis là parce que je le mérite. C’est assez hilarant au fond. Est-ce que je peux vraiment me laisser croire que cent-pour-cent de l’Humanité a décidé de se cacher, pendant que je dormais, parce que je suis à ce point-là insupportable ? Des fois, je me hasarde à imaginer sept milliards d’être humains en paix, sirotant des cocktails sous la surface de mars, vivant dans une parfaite utopie, parce qu’ils se sont debarassés du plus grand problème de cette génération. Pas le dérèglement climatique, noooooooooooooooon : Moi.

On dirait le début d’une blague : “Ta mère est si ... qu’elle a fait fuir toute l’Humanité”. Haha

Je leur souhaite en tout cas, de siroter des cocktails quelque part. Ça, à la place d’autres théories plus réalistes. Et plus sinistres.

Okay, je pense avoir largement atteint mon quota de narration pour aujourd’hui.

Au tour des trois objets de gratitude :

  1. Je remercie Robert Jordan et fils d’avoir écrit “La roue du temps” en quatorze volumes.
  2. Je remercie la centrale nucléaire de Blayais, à cinquante kilomètres d’ici, de ne pas avoir encore explosé.
  3. Je remercie les ingénieurs de Liebherr pour l’invention du modèle de grue 154 EC-H 6.

Suite : Serveur confusion - ep. 09 - Marque-page

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Ça a deux bras, deux jambes, et une tête dépourvue d'orifices.

Ça a deux yeux. Bipède et binoculaire. Les bras longs comme des tisonniers n’ont pas encore perdu leurs appendices. Les pattes trapues, larges sur leurs appuis en contact avec la terre pleines de sédiments, de minéraux. D’informations.

Ça avance avec difficulté dans la broussaille d’une forêt d’ubac pas encore dégrossie par les engins roulants des humain⋅es. Quelques heures après l’éveil, la synthèse accélérée n’agrège que les premiers rudiments de survie, de déplacement.
Instinctivement, il faut descendre, suivre le mouvement de la gravité, le long de ces pentes obstruées par les grands résineux qui dégorgent quelque part.
Ailleurs n’est pas encore un concept. Seul l’attraction terrestre est une réalité, force ressentie dans un corps sans charpente conçu comme un simple capteur biologique. Petite chose agglomérée à la hâte. À usage unique.

Ça a deux yeux, deux globes sans paupières, mais ça n’a encore rien vu. Ça avance plié en avant, lentement dans les arbustes et les ronces, et ça voudrait déjà tout voir du monde. Tout découvrir. Curiosité machine programmée dans les gênes, cette force-là est aussi grande que le mouvement qui incline vers le sol. Tout voir, tout connaître. En appui sur les grandes tiges de ses bras, des pieds trop larges qui écrasent les épines, ça ne connaît encore rien du monde, de l’indexation sur les livrets d’épargne, des bordereaux de caisse, et des garanties à l’embauche.

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∾ Où

J’habite dans une impasse, dans une ville moyenne de l'Allier. Je préfère ne pas donner plus de détails, je me fais déjà traiter de cas social au taf je préfère ne pas en rajouter. Je peux juste dire que ça s’est passé sur les terres d’une tour de trempe éclairée de façon originale, pour celles et ceux qui reconnaîtront…

∾ Quand

La première fois c’était il y a quatre ans. Ensuite pendant des années plus rien. Et hier soir, c’est arrivé encore une fois.

∾ Mes observations factuelles

En fait je ne sais pas trop si ça mérite sa place ici. Je manquais peut-être juste de sommeil. Quand j’y repense j’ai parfois des doutes sur ce que j’ai vu, même si je sais que ce souvenir existe. Mais je précise quand même que je ne bois pas, même pas de bière, je ne fume rien et je ne consomme pas d’autres substances, je n’ai pas de traitement médical…
Je vis au fond d’une impasse et de la fenêtre de ma chambre j'ai une vue sur toute l’allée dans sa longueur. Je vois donc l’entrée de la rue à l'autre bout, à 100 mètres environ. C’est une impasse avec des petites maisons, surtout des retraité⋅es, moi je suis dans un petit bâtiment d'un seul étage. La nuit c'est calme, mais il n’y a qu’un vieux lampadaire (lumière jaune !), ce qui fait qu’une grande partie de la rue est dans le noir.

D'abord il faut que je raconte qu'au tout début quand je suis arrivé, il y avait un voisin au rez-de-chaussée, mais il est parti très peu de temps après que j'emménage. Je suis à l'étage et je ne l'ai jamais rencontré, sauf une nuit où je l'ai aperçu par la fenêtre. Il devait rentrer chez lui, j'en ai déduit que c'était le voisin parce que la silhouette mal éclairée se rapprochait de notre immeuble et qu'il portait une valise à chaque main. Pas des valises à roulettes, les vieilles valises rectangulaires à poignée qu'il faut porter.
Depuis qu'il a déménagé, la propriétaire n'a jamais reloué son logement. Il ne doit pas y avoir beaucoup de demande, et je crois qu'elle est plutôt du genre à vouloir éviter de se casser la tête avec les rénovations, les agences et les visites.

Pourquoi je vous raconte ça : la première fois, il était autour de 23 h 30. J’étais en train d’hésiter à tout éteindre pour me coucher (je me couchais déjà beaucoup trop tard à cette époque, mais j’essayais de changer d’habitudes). Pendant que je me demandais si j’allais réussir à dormir, j’avais le regard plongé dans la rue, à travers la fenêtre. L’éclairage faiblard de notre seul lampadaire qui plonge sur une haie de thuyas, et tout au fond, la zone d’entrée de l’impasse qui offre un peu d'animation seulement quand une voiture ou des piéton⋅nes passent, sans s'arrêter. Dans cette rue perpendiculaire derrière les premières maisons, l'éclairage public ouvre un cadre bleu-gris entre des façades noires. Je regardais fixement ce rectangle de lueur pâle. J’ai vu bouger une ombre à l’intérieur. Je m'attendais à un passant qui court d'un trottoir à l'autre et disparaît. Mais l'ombre ne progressait pas au rythme de la marche. Elle stagnait. J'avais l’impression paradoxale qu'elle voulait s’engouffrer dans l’impasse. Elle était apparue assez soudainement, avec un léger mouvement continu, mais elle ne progressait pas. Deux grands objets rectangulaires à bout de bras. Deux valises j’ai pensé, des vieilles valises, avant qu’on leur mette des roulettes. Je n'ai pas repensé au voisin tout de suite, c'était bien cinq ou six ans après. Ce qui occupait toute mon attention à ce moment-là, c'est que je pensais voir l’ombre en mouvement dépasser lentement du cadre éclairé, comme toutes les choses qui passent à l'intérieur. J'attendais inconsciemment de la voir dépasser, sortir du cadre, dans un sens ou dans l'autre. Si je pouvais voir ses deux bras portant les valises, et ses deux jambes qui me donnaient l'impression vague de se soulever en rythme, c’est que l’ombre avançait de face, ou de dos.
Pendant que je regardais fixement je n’avais pas l’impression de la voir avancer ni reculer. Je suis vraiment resté bloqué, 30 secondes, une minute peut-être ? impossible de savoir, c’est comme quand tu pars dans tes pensées en te brossant les dents ou en faisant la vaisselle, le temps se distord. Là j’avais l’impression de regarder une sorte de gif animé projeté dans ma réalité, dans un cadre de lumière floue. C’est ça qui m’a fait bloquer. Un gif animé grandeur nature je me suis dit. Et puis j’ai fini par tourner la tête par réflexe, pour chercher mon tél. J’ai vu l’heure. Je me suis senti complètement perdu à ce moment-là. L’heure est synchronisée par internet, ça indiquait 01:31 sur l'écran. Quand je me suis tourné à nouveau vers la fenêtre, l’ombre avait disparu. Juste avant de la voir apparaître j’avais bien mémorisé l’heure en essayant de prendre une décision pour aller au lit : 23 h 32. J’ai dû vérifier plusieurs fois, sur ma montre, sur mon téléphone, sur le PC. Maintenant il était bien une heure et demie. Comment est-ce que j’avais pu perdre deux heures dans mes pensées en regardant par la fenêtre l’espace d’un instant ? Même le passage à l'heure d'hiver n'était pas prévu avant un mois.
Vous devez vous dire que ça arrive de perdre la notion du temps, de mélanger des repères temporels, surtout quand on est fatigué. C’est aussi ce que je me suis dit. Alors je suis allé me coucher.

Et hier soir, je l’ai revu. Il n’était pas encore minuit, ça j'en suis sûr. J’étais devant la fenêtre, je regardais le même cadre lumineux qui apparaît toujours à l'entrée de l'impasse quand la nuit tombe. Une jonction qui connecte aux rues publiques. Une ombre noire s’est imprimée dans ce cadre. Au bout de ses bras, deux formes de valises. Quatre ans plus tard. Exactement la même silhouette, je pourrais le jurer, je l’ai reconnu immédiatement. Je n’ai pas réfléchi, j’ai attrapé mon téléphone sur la table juste à côté. Quand j’ai pointé la caméra vers la vision, il n’y avait plus rien. Un rectangle blafard et vide à l'entrée de l'impasse.
J’ai tout de suite pensé à vérifier l’heure : 23 h 45. Malheureusement je ne sais pas quelle heure il était juste avant de voir l'ombre, alors je ne peux pas dire si le temps a sauté comme la première fois. J’ai attendu un moment à la fenêtre pour savoir si quelque chose allait réapparaître, un voisin qui sortait les poubelles, un SDF, un gros chien, un âne perdu, n’importe quoi avec des jambes et des bras. À minuit j’ai fini par lâcher l’affaire, mais dans mon lit j’ai eu beaucoup de mal à trouver le sommeil après ça.

Voilà, je sais que ça a peut-être l'air un peu stupide, mais il fallait que je le raconte.

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Disclaimer: Ce passage est légèrement NSFW, pas sûr pour le travail

Suite de Serveur confusion ep. 06 Flux

Premier épisode ici

Cet épisode fait directement suite aux évènements de Serveur confusion - ep. 04 - GPU

Placeholder

À l'approche du milliardième battement de cœur, Dan recevra un mail de son très cher ami Gabriel. Ce dernier demandera à le rencontrer. C'est cet ami qui l'aura traité avec le plus de décence lorsqu'il étaient tous deux collégiens. Le cerveau le comprendra, maintenant qu'il sera rentré dans l'âge adulte. Son hôte, qui aura vécu en réclusion pendant cinq ans, s'efforcera de se brosser les dents et se couper les ongles de pieds pour l'occasion.

Ils se rencontreront dans un Five Guys à Barcelone et malgré le bruit ambiant, Dan réalisera que Gabriel aura gardé la même voix posée et chaleureuse. Ses yeux seront un havre de paix noisette, isolé au sein d'un monde tumultueux, sale et qui fait trop mal.

Il lui dira à son plus grand plaisir qu'il a entendu ses podcasts. Il les a adoré. Il recherche un partenaire en affaires et la personnalité de son vieil ami est parfaite pour ce business.

Avance rapide à quelques mois plus tard. Gabriel et Dan auront acheté leurs locaux de travail et commenceront leur business. Le cœur, en sa présence, battra plus vide et le cerveau déchargera des doses décadentes d'endorphine. Un troisième membre se sera joint à eux. Le comptable. Il se fera appeler Flouz et Dan ne comprendra pas avant plusieurs années que ce n'est pas son vrai nom.

« La performance est simple » lui aura dit Gabriel plusieurs fois déjà, parce que le cerveau ne sera toujours pas très futé.

« Je m'occupe d'acheter les téléphones jetables et Flouz de gérer les comptes en banque. Je m'occupe de trouver les numéros et de les appeler. Toi, tu parles à l'interlocuteur. »

Toujours appeler en début de nuit, Dan se souviendra. Toujours au moment où la victime est en phase de sommeil lent profond. Si elle se réveille, si elle répond a l'appel, elle sera extrêmement confuse et c'est ce qu'on veut.

« On variera les scenarii pour ne pas trop se faire remarquer. Tu joueras le petit fils de l'interlocuteur. Tu es en prison, tu es sur le quai d'une gare. Tu es dans un pays étranger et sans passeport. »

Au fil des semaines, Dan s'exercera à pousser des couinements plaintifs, pleurer sur commande, imiter le bruit de coups assénés. S'essouffler et donner l'impression qu'il a couru.

« Je serai l'avocat, l'officier de police. Le directeur d'une agence de prêts illégaux. »

« Tu diras des phrases désarmantes telles que "Mamie c'est moi, ton préféré !" »

« Tu hurleras "Ne le dis pas à mes parents, j'ai trop honte ! ” »

« Tu n'arrêteras pas de parler, pas une seconde. Ne les laisse pas se reprendre, remonter leur garde. Tu ne te tairas que pour me passer le combiner. »

Le sophistiqué Gabriel jouera à la perfection l'homme diplômé, le fonctionnaire, l'officier autoritaire.

Dan quant à lui se fera régulièrement complimenter par ses deux associés. Ils trouveront sa voix enfantine et fragile, un parfait vecteur de détresse et hystérie.

Ils s'exerceront encore et encore. Puis le premier appel. Le cerveau déjà bourré d'adrénaline, essaiera au mieux de réprimer les innombrables TIC habituels. L'inconfort ajoutera comme par magie à la tension dans la voix.

L'interlocuteur sera un défi auxquels tous deux ne se seront pas préparés. Un vieillard colérique qui n'a pas de petit fils, mais une petite fille. Les sources de Gabriel se seront avérées non fiables. De par les directives de ce dernier, ils arriveront à glisser subtilement le dialogue vers un autre scenario. Ce sera le petit ami de la fille qui aura appelé en larme.

Elle est à l'hôpital, après un grave accident.

Mais en Nord Afrique.

Mais le voyage n'était pas prévu, il voulait la surprendre.

Mais dans un coma.

Mais l'hôpital veut les mettre dehors, ils n'ont pas d'assurance.

Mais un simple virement bancaire ne fonctionnera pas.

Gabriel et Flouz échangeront dans le fond un parfait charabia. En général personne n'a la moindre idée de la différence entre de l'égyptien et du dothraki. Alors ils ne se donneront pas trop de mal.

Et le monologue continuera comme ça pendant des minutes agonisantes. Le vieux finira par lâcher.

Oui, l'envoi par Western Union fera l'affaire. Merci papi. Je peux vous appeler papi ? Elle me parlait souvent de vous. Sniff sniff. Elle vous aime très fort. Merci-beaucoup-maintenant-je-raccroche. Et coupez !

--

Le soir de leur premier coup, le protagoniste et les deux larrons iront fêter leur réussite au club local, “La Puta Loca”.

C'est un club rave qui jouera ce soir-là des mix de l'âge d'or du Big Beat et de la Techno. Dan se dira qu'il aurait tellement aimé être né vingt ans plus tôt. Quand ce genre d'endroit puait la sueur et que la jeunesse étourdie à la MDMA dansait comme si le futur ne comptait pas.

Il aura lui-même son lot de trips à l'ecstasy. Des moments de pure euphorie, dans la confusion de corps en mouvements. Un microcosme où la foule est une intelligence qui se dissout, s'émeut en couleurs, l'individu, un concept flou qu'on laisse à la flétrissure du lendemain de cuite.

Ce soir, il prendra un whisky "on the rock" et se sentira comme un vrai mec avec les autres. Un big boy, à sa place au milieu des big boys.

Il ne dansera pas. Il aurait adoré, mais les vrais mecs s'assoient et parlent aux filles.

Gabriel restera assis en face de lui. Les deux yeux noisette reflétant la lumière des néons bleus et roses, emplis d'une lueur énigmatique. Satisfaction ? Plénitude ? Lorsque son regard croisera le sien, ils s'échangeront un dialogue tacite, que seuls eux deux comprendront.

Dan aura toujours eu l'affliction de ce qu'on appelle "aphantasie". Il ne pourra s'imager aucune scène, seulement des informations laconiques et factuelles. Mais aux côtés de Gabriel, il pourra se voir un milliard de battements de cœur dans le futur, tous les deux assis sur une chaise à bascule, sur le porche d'une ferme ou une idiotie dans le genre, les cheveux grisonnants. Dans un monde qui se suffit à lui-même. C'est le pouvoir de Gabriel. Il se serait bien habitué à ça.

Flouz partira le premier. Le cerveau voudra déverser un long monologue sans ponctuation à Gabriel. Lui dire. Lui dire tellement de choses. Mais le cerveau ne saura pas où commence la tirade, ni ou elle se finit. Alors la bouche ne dira rien.

Et Dan se détestera longtemps pour ça.

L'intérieur du bâtiment sera tiède et humide. Il parlera à Gabriel de ses théories sur l'état du Monde. Ces mêmes théories qui feront de lui un idiot du village dans l'impardonnable hyper-réseau.

« Notre Univers est trop vieux », commencera-t-il.

« Son firmware est soumis à ce qui est appelé Bit Rot, en informatique. Je ne sais pas si les administrateurs de ce système sont absents. Ou peut-être que Dieu est une bille en informatique. L'information qui nous régit tous, êtres vivants et astres, se dégrade. Non pas seulement l'information d'un objet, mais l'information de son appartenance au Monde.
« Peux-tu te figurer un objet qui est, mais n'est plus observable ? Par exemple le soleil, qui resterait présent dans nos souvenirs, mais arrêterait d'être “existant” d'un seul coup. Gone. Apprécie l'obscurité et le froid a moins deux-cent degrés.
« Ou encore, un exemple plus familier. Imagine que te réveilles un matin et que le café en face de chez toi, sans prévenir, n'est plus un café local mais un Starbucks. Non mais imagine que ça arrive du jour au lendemain, sans aucun préavis. Oui, je sais que ce phénomène est appelé ultra-capitalisme. Ce n'est pas où je veux en venir. Imagine que ce soit hors de tout contrôle. Oui, il y a aussi un mot pour ça, anarcho-capitalisme. Mais à échelle cosmique ?
« Un astre Coca Cola qui devient Pepsi. Une conscience humaine basculant de la Google sphère à la Apple Galaxy. Le débridage absolu du libre échange de données.
« Et on ne pourrait rien changer à ça. Forts de millions d'années d'adaptation empirique et toujours impuissants. Si on en venait à une telle déconstruction de notre réalité fondamentale, un changement d'information à la fois, je n'aurais qu'un seul conseil pour nous tous. »

Carpe diem.

Le cerveau sera pris de court, car Gabriel acquiescera. Il écoutera chaque mot que le cerveau transmettra, malgré les simagrées semi-incohérentes qu'il se sera habitué à déverser. Et pourtant, Gabriel acquiescera. Dan aura préféré l'inverse. Si cette théorie s'avérait, cela marquerait la fin du Monde. Non de bien plus que ça.

« Je ne sais pas si ce que tu dis est vrai », lui confèrera son ami, à demi hurlant au milieu du bruit.

« Tout ce que je sais, c'est que tu as un vrai talent pour écrire. Ce que tu dis est poignant et nous prend aux tripes. Écris un bouquin là-dessus. Tu ne sais pas où la vie te mènera. »

Et le cœur s'accélèrera encore et encore. Et le cerveau ne comprendra pas quoi blâmer. La chaleur et l'alcool ou les mots de Gabriel qui comme par magie, lui insuffleront la vie une seconde fois.

Dan lui effleurera la main et Gabriel se laissera faire. Il existe une infinité de realités courant en parallèle à celle-ci. C'est ce dont le cerveau sera convaincu. Et pour lui dans toutes ces réalités, ce moment existera, gravé dans la roche monolithique d'un Univers infini, froid et impitoyable.

--

À 31 ans, l'improbable trio aura amassé une petite fortune au travers d'une poignée de comptes off-shore. Le cerveau n'aura pas changé. C'est à croire que le status fait tout. Car il sera pourtant récompensé d'une estime impromptue et enivrante.

Et il aura retenu une leçon.

Le système est faillible. Sa structure est un gruyère de règles et de lois, bourrée de trous et d'interstices. La société est un terme gris. Tout le monde profite de tout le monde.

Les partenaires de notre sujet aimeront à répéter religieusement que les générations les précédant ont ajouté des trous au gruyère. Si bien qu'il y a pour eux moins de fromage que de trous. C'est la justice même que de réclamer un peu plus du morceau. Tous les moyens sont légitimes. Fuck ces vieux rapaces.

Leur business sera florissant. Des piles de téléphones jetables. Des serveurs exécutant des programmes de craquage de mot de passe et d'apprentissage automatique, dédiés au recroisement d'informations sur des internautes sexagénaires. Ceux qui s'échangeront des complaintes sur la fainéantise de la jeune génération, s'entre-congratuleront virtuellement, dans des salons publiques à la vue de tous. Là où leur vision exiguë du Monde peut s'exprimer à satiété, et leur survivra.

L'équipe se sera agrandie d'une poignée de jeunes travailleurs. Des demoiselles et damoiseaux armés de Master en business et finances. Les dents aiguisées par des années de chômage et une dalle incendiaire. Tous affamés, indivisibles. Redoutables. Un nirvana de béton, de brouhaha et de Nokia 3310.

Un soir, Dan et Gabriel seront seuls dans les locaux et empileront les canettes de bière. Ce sera une soirée d'été comme les autres. Les fenêtres ouvertes, des sirènes s'entendront au loin, un chien aboiera, des musiciens de rue massacreront un morceau des Strokes avec leur ampli dégueulasse.

Gabriel recevra un appel sur un des téléphones. La première règle est de ne pas répondre à un appel de ces numéros temporaires. Mais Gabriel aura baissé sa garde.

« Oui » dira-t'il « Oh, vous dites être le petit fils de monsieur Cornetto. Je n'ai aucune idée de qui c'est, désolé. Mauvais numéro. »

Une ambulance passera près d'eux. Le chien aboiera encore. Que ce chien soit maudit.

« Je vous assure que je n'habite pas à Barcelone. Non, je ne suis pas dans le quartier d'El Raval en face de l'église. Vous entendez un chien qui aboie, okay mais tous les chiens aboient de la même manière... Non et non... Excusez moi, mais je vais raccrocher maintenant. »

Sa posture ne changera pas, mais le cerveau aura appris à lire dans les yeux de son ami après tant d'années de promiscuité.

De la peur.

Il posera la main sur l'épaule de Dan. Chuchotera lentement, d'une voix monotone. Notre sujet comprendra que ce n'est pas bon.

« On a de la visite. »

Des coups à la porte. Profonds et lents. L'air se glacera.

--

Dans 1.225*10^9 battements de cœur, les coups à la porte seront lents et persistants. Une seconde, dix, trente. Puis, silence.

Silence.

Silence.

Et un bruit de grattement, cliquetis. Un grincement. La porte s'ouvrira.

Avant de voir le visage de l'intrus, Dan et Gabriel se seront levés comme deux ressorts, le corps rigide et immobile. Fight, flight, freeze. Le déroulement des évènements encore incertain, menaçant.

Fred Cornetto, un mètre quatre-vingt-dix, des muscles et un visage de cire leur fera face.

« Je vais vous péter les dents pour ce que vous avez fait à mon grand-père. Si je vous crêve pas comme des charognes, vous ne pourrez plus jamais marcher, bande de sales petites merdes ». Et durant un instant, une fraction de seconde, Dan se demandera comment ce type peut embrasser sa mère avec une bouche aussi sale.

À l'unisson, le cerveau et le cœur iront très vites. Deux trains à vitesse supraluminique parcourant la toile de toutes les possibilités à venir. Trop vite, beaucoup trop vite. Le visage sera secoué de spasmes.

Un être humain normal aura reçu dans ces circonstances, une dose appréciable de cortisol. Peut-être aurait-il bégayé et tenté d'entamer un dialogue. Prenez l'exemple de Gabriel. De sa bouche sortira des bribes d'excuses et des morceaux de supplications.

Malheureusement, le cerveau de notre sujet ne sera jamais correctement calibré. L'adrénaline déferlera sur les récepteurs synaptiques. Le cortisol crèvera le plafond de l'inhibition Comme un film enregistré sur cassette vidéo, les couleurs baveront et les contours s'effaceront. Les bruits ambiants deviendront une bande sonore déroulée à l'envers, pâteuse et inintelligible.

Dans un interminable hurlement, la bête terrifiée de cette histoire jettera une chaise sur le pauvre mec qui voulait simplement parler. Que des mots, des petites menaces et des excuses en retour. Et tout le monde rentre chez soi gentillement.

Mais ce soir, il recevra une pluie de coup. Le visage bien sûr. Énormément. Mais aussi dans les reins, les testicules, l'arrière de la tête.

Il y aura des débuts de “s'il vous plaît”, de “je m'excu-”, des gargarismes et beaucoup plus de coups. Des coups qui flinguent.

Les oreilles de Dan n'entendront rien de cela. Seulement la sirène d'une ambulance au loin. Elle sera en ce moment décalé, la validation de ses agissements, la rumeur lointaine d'un public satisfait.

Et le hurlement. Il hurlera, hurlera, hurlera jusqu'à la fin des temps, l'arrivée des quatre chevaliers de l'apocalypse, le jugement dernier d'un tribunal de haute instance et qui sait, la peine de mort.

Quand le cœur battra jusqu'à devenir un bassin d'acide chloridrique sous sa cage thoracique, le corps vidé de son énergie s'assoira tremblant, et tout deviendra silencieux.

Une instance de Dan qui sera plus un espace réservé que l'être lui-même regardera robotiquement dans la direction de Gabriel. Les yeux de Dan se rempliront de liquide lacrymal. Le visage de son vieil ami et confident, ce phare de paix et de certitude qui l'aura guidé hors de la fange et de la haine de soi. Ce visage si beau aura une expression qu'il n'oubliera jamais. Un regard avide et satisfait.

Tous deux resteront immobiles, dans une sacrilège communion. Tissant un pacte que seule la mort pourra défaire.

Puis la redescente s'amorcera. Et tous deux se sentiront comme des merdes. Ils trembleront et pleureront en silence, boiront comme des trous jusqu'aux premières lueurs.

Et personnes n'aura appelé les flics.

L'histoire de ce cœur qui bat dans l'obscurité ne s'achève pas là.

Lorsque les premiers travailleurs seront sortis de chez eux pour s'entasser dans les premières rames du métro, le méthodique, organisé et impartial Gabriel aura déjà un plan établi. Un voyage sans retour. Les Amériques. Pas d'au revoir, aller simple.

Une petite somme se sera accumulée à l'écart du regard de Flouz, sur un compte inconnu de Dan. Ils pourront compter dessus.

Les locaux n'auront jamais été signés de leur vrai nom. Quand bien même, ils devront faire profil bas pendant des années.

Lorsqu'ils prendront le métro, leur visage émacié sera indiscernable des autres visages de travailleurs de nuit rentrant chez eux pour s'écraser dans leur lit.

A l'aéroport, le cerveau comprendra que c'est un adieu. Gabriel aura de la famille lointaine qu'il pourra rejoindre en Amérique du Sud. Rester ensemble au même endroit sera trop dangereux. Pour le faciès caucasien, destination Québec. Pour le bronzé, Bolivie.

Une fois assis dans son siège d'avion, le cerveau n'aura qu'une envie, se suicider. En finir avec toute cette merde. Il réfléchira aux possibilités de le faire, et ne trouvera aucun potentiel létal dans les couteaux en plastique servis au repas micro-onde. Alors il atterrira à Montréal.

Suite : Serveur confusion - ep. 08 - Instance

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Histoire inspirée de faits réels, mais ça ne me fait nichon ni froid.

La canicule sirupeuse de l’été ensuqué dégoulinait jusque dans le bureau où je m’étais réfugié pour la journée. Malgré les volets fermés, la clim’ peinait à crachoter le moindre vent de fraicheur et je la suspectais de seulement contribuer à la fournaise moite et collante de la rue. Dehors, les façades exsudant un remugle infesté des exhalaisons intérieures étaient assaillies sans relâche depuis l’aube par les dards priapiques d’un soleil en pleine période de rutilances.

 La journée, le cagnard permanent de la ville désertée par le vent allait avoir ma peau suintante, j’en avais la certitude. Je ne vivais plus, j’agonisais au rythme de longs râles indolents, perlant des sécrétions sudoripares dans lesquelles se mêlaient whisky de la veille et idées noires, mais le soir, ce n’était guère mieux. La chaleur urbaine du jour, accumulée par la moindre brique trop lustrée, le moindre centimètre carré de goudron purulent, se libérait alors en caléfactions visqueuses et ne faisait qu’accentuer la sensation de constamment suffoquer dans l’odeur miasmatique d’une transpiration rancie communale. En effet, dès le crépuscule, toute une faune charnelle sortait des tanières fétides pour chercher un semblant de bouffée d’air tiède en ne s’embarrassant plus de la moindre convenance. On exhibait sans pudeur des chairs daubées et turgescentes, à moitié cuites à l’étouffée par le soleil d’étuve et les ardeurs putrides que l’enfermement avait lascivement cultivées.

 Ce fut un de ces soirs-là d’éréthisme à trouer un slip qu’elle entra dans ma vie comme papa dans maman les soirs de fête, sans cérémonie, mais avec tellement de conviction et d’aplomb qu’annoncer ses intentions était une formalité dont on se passait au mépris des sentiments. Elle surgit dans mon bureau et mes pensées salaces en faisant claquer la porte et mon frein intérieur sous l’implacable impulsion de ses mammouths mammaires, une paire d’airbags tititanesques qui semblaient faits pour être constamment déployés et qui donnaient à rêver de collisions frontales répétées, encore et encore. Et encore. Et encore. Devant ses mappemondes circumpelotées, des centaines d’hommes avaient dû se découvrir une vocation de cartographes en chambre ; nul doute que des druides libidineux avaient dévotement érigé des menhirs de chair à la gloire de ses jumeaux, avatars bovins d’une déesse laitière.

 Ce double monticule orné d’un tissu fâcheux précédait une jeune femme élégante aux cheveux plus noirs que du charbon, mais en plus sexys, aux yeux plus profonds qu’un puits de pétrole et aux lèvres pulpeuses comme la fin d’une bouteille de jus d’orange pur jus. Elle n’avait peut-être pas vingt ans, elle était au sommet de sa beauté. C’était l’association parfaite pour quelqu’un comme moi dans la fleur de l’âge, au meilleur de ma forme physique sous ce ventre replet d’homme mûr d’à peine cinquante-quatre printemps. Ses mamelles matricielles, béantes de volupté au moindre vent, au moindre murmure, au moindre regard, n’étaient pas sans rappeler mes névroses. Tellement elles semblaient imposantes et suffocantes, je savais que je ne pourrais m’empêcher d’y revenir et de me perdre malgré moi dans cette mégalolomanie en tétons armés.

 Alors qu’elle approchait avec pectoralité, je me dis que sa robe translucide devait encombrer sa respiration, car elle ne put retenir une série de halètements plaintifs rythmés par les mouvements oscillatoires et frémissants de son buste turgescent affligé d’une congestion mammaire. Je me dis aussi qu’elle avait des nichons énormes.

 Par politesse, je baissai le regard pour ne pas la fixer dans les yeux. Elle me nibarda effrontément et, tétonné, j’objectai sexuellement que mon érection était plus bas. Elle fit alors remarquer sur le ton de la plaisanterie, une façon très subtile de flirter qui m’était bien familière, que ça expliquait ma pâleur. Aussitôt, nous baisâmes comme des lapins, c’est-à-dire en moins de trente secondes au bout desquelles je tombai sur le côté, ahanant et à moitié catatonique. Dans un instant d’intimité qui sembla durer assez longtemps pour remettre le couvert, elle me vagina sa vie de mannequin et d’ancienne gymnaste reconvertie dans la culture de melons – même si elle préférait parler d’élevage, ce à quoi j’opinai avec fureur en la chevauchant tel l’amant de Pasiphaée, en mugissant, les bourses écrasées contre le bois du bureau. Mais j’ignorai la douleur tellement j’adorais les melons, surtout quand ils étaient bien juteux et bien fermes en même temps, quand on pouvait les presser sans fin pour en extirper tout leur parfum comme une promesse de chair rose et sucrée découpée en petits dés pour un apéritif au Porto. Nous refîmes l’amour plusieurs fois d’affilée. Elle jouit une bonne vingtaine de fois au moins en presque deux minutes de montagnes utérusses – je n’avais aucune raison de ne pas croire ses longs soupirs exaspérés – jusqu’au moment de ma crise d’asthme. Alors elle déballa finalement l’objet de sa venue en remballant le reste : ma voiture pénisbloquait la sienne. Mollement, je testiculai que je n’avais pas le permis et sur ces mots mal scrotumés, ses mastodontesques roploplos dévulvèrent de ma vie, elle aussi. Ces dix minutes avaient défié la gravité de ma vie à la manière de ses meules en apesanteur, de façon tellement irréelle que je ne fus pas surpris ni même déçu quand le toubib déclara que j’avais encore failli crever de déshydratation à cause de la canicule.

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Je fais souvent mes courses dans une immense infrastructures étant le centre commercial principal de ma région. Mon magasin préféré se trouve au centre. Pour y accéder je dois toujours marcher pendant 5 minutes dans le long couloir principal, avec chacun de ses côtés des magasins de tout type.

Aujourd'hui, j'ai décidé de m'y rendre pour acheter comme à mon habitude des repas à chauffer aux micro-ondes et des pâtes. Après avoir passé en caisse, j'effectue machinalement le chemin que j'ai parcouru des centaines de fois, pour sortir du centre commercial et rejoindre le parking.

Cependant, quelque chose d'inhabituel se produit alors que je suis à la moitié de mon trajet. Une personne dans ses pensées m'a bousculée – ou alors c'est moi la personne évasive qui l'a bousculée, dans tout les cas nous nous excusons tout les deux. Cette interruption me permet de prendre conscience de mon entourage et de remarquer qu'il y a un panneau indiquant une sortie. Je suis assez intrigué car il me semblait qu'il n'y avait qu'une seul sortie, donc par curiosité je la prend, peut-être qu'elle me mènera à la sortie plus vite.

Je remets mes écouteurs en place, et je repars dans mes pensées, en me contentant de suivre le nouveau chemin. Je remarque quelque différence au début mais je n'y fais pas attention, puis le chemin me semble davantage famillé. Je sors enfin du centre commercial, j'ai l'impression d'avoir marché beaucoup plus que d'habitude, me laissant penser que cette sortie me fait un détour.

Quelque jour après, un matin, j'ouvre mon frigo, il ne me reste plus qu'un plat à réchauffer au micro-ondes. J'ai aussi des pâtes, mais sans sauces à force cela devient fade. Je me rend donc à mon magasin habituel. Une fois sortie de la caisse, j'emprunte le couloir principal vers la sortie. Puis j'arrive à l'endroit de cette autre sortie qui m'avait intrigué la dernière fois. Je décide de reprendre ce chemin, mais cette fois-ci en étant beaucoup plus attentif. La plupart des magasins que je croise sont fermés ou endommagés. Mais bizarrement, d'un coup les nouveaux magasins que je croise sont tous ouvert. Je me retourne derrière moi et je n'arrive pas à comprendre le trajet que je viens de faire. Par contre j'arrive très bien à reconnaître que les magasins que je croise sont les mêmes que je croise dans mon trajet habituel. Enfaite, je suis à une vingtaine de mètres des caisses du magasin auquel je viens de faire mes courses.

Cette sortie me mène donc vers le devant du magasin auquel j'y vais d'habitude. Mais pourquoi un couloir aurait un panneau "sortie" ? Peut être qu'avant c'était une sortie, mais elle a été transformée en couloir; et vu que cela à l'air d'être un endroit abandonnés je peux comprendre qu'ils ont oubliés d'enlever le panneau. Dans tout les cas, j'ai eu assez d'aventure pour aujourd'hui, je me décide de prendre le couloir principal habituel qui mène vers la sortie habituelle. Je marche de façon beaucoup plus attentif qu'avant. Malgré la fausse sortie que je viens de recroiser, tout est parfaitement normal.

Enfaite non. Je remarque deux nouvelles sorties. Je ne comprends pas. Étaient-elles là la dernière fois ? Sont-elles récentes ? Comment j'ai fait pour ne pas tous les remarquer avant ? Je m'approche de ses sorties totalement intrigué. En jetant un coup d'œil elles sont pareilles que la première que j'ai découverte. Presque sombres. Abandonnés. Irréelles. Je décide de rentrer dans l'une d'elle. J'ai l'impression de refaire le même chemin. Rectification : je refais le même chemin. Je me retrouve encore devant mon magasin préféré. Je cours un peu pour essayer la troisième autre sortie. C'est exactement la même choses.

Les trois sorties mènent au même couloir ? Il y avait une sortie mais ils ont mis plusieurs panneaux pour indiquer la même potentiel sortie ? C'était plutôt logique comme raisonnement car ses trois sorties sont du même côté du couloir principal. Mais cela a arrêter de l'être quand j'ai remarqué que deux nouvelles sorties se trouvait de l'autre côté du couloir principal. Ces deux autres sorties qui mène encore une fois au même endroit. Devant mon magasin habituel. Je ne comprends rien. Puis je remarque que l'emplacement de ses nouvelles sorties, étaient l'emplacement d'anciens magasin. Un coiffeur, un boulanger, une pharmacie, et un magasin d'opérateur mobile. Mais il manque aussi le bar et un magasin de vêtement. Ils étaient aussi devenu des sorties. Je ne comprends pas. Je me dis que c'est juste moi qui fatigue et que ces magasins existent encore. Je décide de rentrer dans ces deux sorties, croyant arriver à chaque fois dans le magasin. À la place, je me retrouve encore une nouvelle fois au même endroit.

Je deviens complètement fou. Les gens autour de moi ne réagissent pas, comme si tout était normal. Je cours vers la sortie. La vrai sortie. Mais elle était devenue aussi une sortie. Je fonce dedans sans réfléchir. Je me retrouve encore au même endroit. Enfin presque, car le magasin derrière moi étaient devenus aussi une sortie.

Je me retrouve dans un couloir avec que des sorties partout. Ma tête part dans tout les sens. La logique et la raison n'existe plus. Je demande aux passants impassibles de l'aide mais aucun ne me crois et ils me prennent pour un fou. Suis-je fou ? Je ne sais pas. Je dois sortir d'ici. J'emprunte n'importe quel sortie. En boucle. Encore et encore. De nouvelles sorties apparaissent. Je remarque surtout que le couloir devient de plus en plus petit. Ridiculement petit. Avec que 3 sorties et les deux bancs dos à dos qui étaient utilisés avant pour que les gens se repose.

C'était la sortie de trop. Ce n'est plus un couloir. C'est un lieu diffus, sombre et froid. Je suis perdu et emprisonné. Devant moi c'est une sortie. Derrière moi c'est une sortie.

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Drôle de cimetière empli de tombes vides
Que, muni d’un balai, arpente un fossoyeur.
Allant de bière en bière et visage livide,
Il court les feux follets aux sentiments vivides,
Mais ne voit qu’un reflet de brasiers vétilleurs.

Tant de matches joués pourtant perdus d’avance :
Cent fois vers la droite effleurés de l’index
Pour deux contacts noués. Voyant la concurrence,
Ils s’éclipsent sans hâte en foulant la confiance
De l’amant spartiate au diable de l‘apex.

Une approche tiède, un mot beauf ou trop leste,
Et l’écran, pour un rien se fige en pointillés.
Statut “lu” qui obsède ou “hors-ligne” qui reste,
La vérité survient et révèle une veste
Quotidien du gardien bon pour se rhabiller.

Des milliers de fantômes hantent son répertoire,
Ils observent muets ou vont vers d’autres plans
— Plans pour garder son môme ou plans culs rotatoires.
Du balai, du balai, le gardien sans histoires
Ne se veut pas défait malgré tous ces choux blancs.

Il faut bien que la chance assoupie en coulisses
Lui accorde un succès, un seul et sans rivaux
Pour entrer dans la danse à un moment propice.
Sur ce coup de balai ? Non : réseau hors service.
Du ballet, du ballet dans les vides caveaux.

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Mesdames et Messieurs, bonsoir.

Vous êtes à l’écoute de notre émission hebdomadaire, Actualités et Découvertes, sur Radio Culture. Comme tous les dimanches soir, nous revoyons ensemble les évènements qui ont fait l'actualité de la semaine.

Rappelons les titres marquants de cette semaine du 5 février.

Le dernier panda de son espèce, Tanukisan, vient de fêter ses 4 ans.

Le télescope James Webb confirme la rumeur circulant sur internet depuis une semaine. Il existe bien un point de couleur fuchsia, au sein de notre galaxie.

Un nouveau point sonore est soudainement apparu dans la nuit du 2 au 3 février, dans la région du Gers. Les scientifiques, spirituels et curieux de tous bords, se sont déjà amassés autour de l'élément paranormal.

Au japon, le dernier panda, Tanukisan vient de fêter ses 4 ans. Le panda, en tant qu'espèce, est devenu un symbole fort de la culture nippone depuis trois ans, après que la dernière femelle ne se soit éteinte. Souvenirs, porte-bonheur et gâteaux à l'effigie de la nouvelle mascotte, font fureur au pays du soleil levant. À l'occasion de cet anniversaire, un festival qui se déroule au travers du pays rassemble adultes et enfants, jusqu'à la fin de semaine prochaine. Le mot-clé “#tanukisangambatte” se relaie sur les réseaux sociaux, en soutien à l'animal. À l'occasion, le gouvernement japonais a déclaré le jour d'aujourd'hui, nouvelle journée fériée.

Le télescope Webb a retourné des images démontrant l'apparition d'un point de couleur fuchsia, quelque part dans notre galaxie. Cette image vient à confirmer les témoignages d'observateurs du monde entier qui commençaient à partager leurs propres captures, depuis plusieurs jours déjà. Le porte-parole de l'Agence Spaciale Européenne, dans une déclaration plus tôt aujourd'hui, nous indiquait que le point a des spécificités comme nul autre corps astral connu. Sa distance à la Terre ne peut être mesurée par des méthodes traditionnelles. Je laisse la parole à notre collègue Noël Abbadi, de la rubrique Sciences Étonnantes, qui saura expliquer cette déclaration en de meilleurs termes.

« Noël, pouvez-vous nous dire en quelques mots ce que signifie la déclaration de l'agence Européenne ? »

« Bonjour Michel. Oui donc, pour faire court, le point que nous observons ne change pas de taille selon d'où nous l'observons.
« L'image capturée par un télescope situé dans l'Équateur par exemple, sera identique à celle d'un télescope situé en Antarctique. Le point aura la même taille, même couleur, même forme. À l'œil humain, le point est si petit sur ces images, qu'il est normal qu'on ne voie pas de différence.
« Toutefois, les agences spatiales Européenne, Américaine et Japonaise de recherche spatiale, sont arrivés à un consensus, basé sur des calculs précis : le point, bien que “visible”, n'a pas de distance à proprement parler.
« Si pas de distance, il n'a pas de position dans l'espace, comme le démontre le principe de distances Euclidiennes. »

« Pour nos auditeurs, un petit rafraichissement de leurs cours de mathématiques de collège ? »

« Oui alors, le principe de distance Euclidienne est tel que l'on peut déterminer la position d'un point par sa distance à un autre point.
« Or, ce n'est pas le cas ici. Nous pouvons empiriquement déterminer une distance approximative de ce point à ici, par le simple fait que d'autres astres l'éclipsent selon les heures de la journée. Pour simplifier au possible, différents corps célestes “passent” entre ce point et notre planète.
« Mais nous avançons à tâtons, nous n'avons pas d'autre choix que d'observer patiemment ce qui “passe” devant et derrière ce point, pour comprendre où il est "supposé" se situer. »

« C'est un travail de fourmi. »

« Exactement. Je pense que nous devrons attendre plusieurs années avant de mieux comprendre ce “qu'est” cette apparition. Est-ce le premier et le seul, ou en existe-t-il d'autres dans l'Univers, hors de portée de nos instruments de mesure ?
« C'est un phénomène historique qui met la communauté scientifique sens dessus dessous et à bien forte raison. Nous sommes tout simplement pris de court, mais cela n'enlève rien à notre émerveillement et curiosité. C'est une période très excitante. »

« Excitant en effet. Merci pour cette explication Noël. »

La communauté de chasseurs d'étoiles est en effervescence et un appel à un deuxième raid de l'aire 51 au Nevada, États-Unis, a été lancé. À ce sujet, nous invitons nos auditeurs à rester modérés dans leur réaction et de ne pas relayer les fausses informations qui se multiplient.

Autre phénomène insolite !

Un nouveau point sonore est spontanément apparu dans le département du Gers, dans la commune de Condom-en-Armagnac. Les touristes et curieux de tous bords ont déjà commencé à visiter la nouvelle anomalie.

Notre journaliste Moussef Bédouin s'est spécialement déplacé au point sonore pour en enregistrer un extrait d'une minute, que nous vous passons immédiatement.

Veuillez noter que ce point sonore est apparu dans le jardin de monsieur Pierre Cabanier, c'est donc une propriété privée. Lorsque nous l'avons contacté, le retraité nous a confié "apprécier la soudaine compagnie", alors qu'il vit seul. Toutefois, il a commencé à faire payer l'entrée… Houlà, une trentaine d'euros. Gardez votre portefeuille à portée de main, si vous faites le voyage.

Comme vous pouvez l'entendre dans l'enregistrement, nous percevons les sons d'une ville. Il s'avère qu'une communauté d'internautes a déjà pu identifier le modèle d'une des voitures entendues. C'est le modèle S30 de la marque Nissan, produit exclusivement au Japon entre les années 1969 et 1978. Nous pouvons également percevoir dans les bruits du lieu, des individus discuter en langue japonaise. Alors, le son que nous pouvons entendre dans le jardin de monsieur Pierre Cabanier, provient-il d'une ville Japonaise des années 70 ? Exprimez-vous dans les réseaux sociaux et nous commenterons sur vos réactions, en fin de soirée.

Un message de précaution cependant. Bien qu'inoffensifs, ces phénomènes surnaturels ne sont pas sans rappeler la tragédie de la ville de Kars, Turquie, dans le début des années 2000, où rappelons-le, un son de volume extraordinaire a provoqué une onde de choc destructrice. Nous ne connaissons toujours pas la cause de la catastrophe, si ce n'est que le son qui s'est propagé était un enregistrement d'une émission russe. Cela a entretenu depuis lors, des tensions entre les pays d'Europe occidentale et d'Asie centrale.

Myriam Bellamy, vous êtes l'un de nos envoyés spéciaux qui s'est déplacé à travers le Monde pour nous retransmettre les enregistrements d'autres émissions sonores qui sont mystérieusement apparues dans déjà trois pays à travers le Monde.

Dans la ville de Ruzhou, province du Henan en Chine, supposément des enfants qui s'expriment dans une langue morte à l'intérieur d'un lieu d'éducation.

Dans le district de Enjil, province d'Hérât, en Afghanistan, où vous avez eu peine à vous déplacer, en raison des politiques internes au pays, n'est-ce pas. Vous nous rapportiez à l'époque entendre de la musique rock'N Roll des années cinquante, et les sons habituels d'un bar américain.

Dans une grotte de la région de Boedy, sur l'île de Madagascar. Ce point-ci est le plus étrange, n'est-ce pas. Comme nous le surnommons “le bip”, nous pouvons seulement entendre un bip à intervalle irrégulier et rien d'autre.

« Alors vous qui avez pu en témoigner de visu, qu'en pensez-vous Myriam, vos impressions ? »

« Écoutez Michel, il va sans dire que ces phénomènes sont pour le moins dérangeants. Pourtant, et ce n'est que mon avis personnel, nous sommes à un âge où le Monde devient de plus en plus incompréhensible, avec ces phénomènes étranges et inexpliqués qui se multiplient mois après mois. Dans d'autres nouvelles plus terre-à-terre, les tensions entre Union Européenne, États-Unis et Asie centrale se durcissent. Ces points sonores sont une distraction bienvenue aux autres inquiétudes qui peuplent notre quotidien ces derniers temps. Au cours de mes voyages, j'étais heureuse de voir des sourires sur les visages des visiteurs, alors que nous devenons de plus en plus, et à juste raison, apathiques face aux évènements de notre actualité.
« J'ai particulièrement apprécié m'assoir près du point de Ruzhou en Chine, et écouter les enfants chanter et rire. Soit dit en passant, des chercheurs en linguistique ont émis l'hypothèse que la langue entendue soit du Sumérien, parlée jusqu'à 2000 ans avant Jésus-Christ. C'est tout de même incroyable, nous pouvons aujourd'hui entendre des sons disparus depuis des temps immémoriaux. Par ailleurs, l'arrivée de touristes dans les points reculés de Chine, Afghanistan et Madagascar boostent l'économie de ces régions. C'est 100% positif à mes yeux. »

« Haha en effet, c'est un point de vue intéressant. Un peu de positivisme ne fait effectivement pas de mal. Eh bien merci Myriam, à une très prochaine fois dans l'émission Actualités et Découvertes. »

« Merci. »

Chers auditeurs, vous étiez à l'écoute de l'émission Actualités et Découvertes, sur Radio Culture. Comme tous les dimanches, nous vous y rappelons les titres de l'actualité de la semaine.

Restez à l'écoute pour la prochaine émission de la soirée, “Deep fake, fake news, comment s'y retrouver”.

Merci, à dimanche prochain.

Suite : Serveur confusion - ep. 07 - Placeholder

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Depuis que tu dors au jardin,
Je ne t’apporte plus de roses.
Entre inoubli et anodin,
Tant de souvenirs que j’arrose.

Je ne t’apporte plus de roses,
Toute la nature est à toi.
Tant de souvenirs que j’arrose
À coups d’absinthe, de vodka.

Toute la nature est à toi
Jusqu’aux griffes de l’aubépine.
À coups d’absinthe, de vodka,
Je révère une proserpine.

Jusqu’aux griffes de l’aubépine,
Danse l’éclat du papillon.
Je révère une proserpine
Où ont poussé les endymions.

Danse l’éclat du papillon
Qui rêve de vivre en automne.
Où ont poussé les endymions,
Seules fleurent des anémones.

Qui rêve de vivre en automne
Quand on a l’ombre d’un noyer ?
Seules fleurent des anémones,
J’écris ces mots pour t’oublier.

Quand on a l’ombre d’un noyer,
Les journées deviennent quiètes.
J’écris ces mots pour t’oublier,
Mais tu vis toujours dans ma tête.

Les journées deviennent quiètes
Entre inoubli et anodin.
Mais tu vis toujours dans ma tête
Depuis que tu dors au jardin.

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De l'anglais writing prompt. Je ne connais pas la traduction exacte.
Dans le titre d'un post, une description d'un début d'histoire. Chaque commentaire du post est une nouvelle écrite à partir de la description.
Exemple de la communauté /r/writingprompt sur Reddit https://www.reddit.com/r/writingprompt/comments/fv9fek/wp_there_is_an_unbroken_rule_in_your_household/

Il existe dans votre foyer une règle immuable, établie par votre arrière-grand-père de son vivant : personne ne doit jamais pénétrer dans le grenier. Un beau jour, pris de curiosité, vous décidez d'aller y jeter un coup d'œil. Vous y trouvez votre arrière-grand-père en train de jouer aux cartes avec ses meilleurs amis.

Avis ?

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Suite de Serveur confusion - ep. 04 - GPU

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Si vous lisez ce texte, laissez-moi vous dire une chose. Je suis encore dans les parages.

J'ai commencé à écrire ce journal pour passer le temps et arrêter d'oublier des détails de ma vie. Le tout est enregistré sur un cloud décentralisé, basé sur une blockchain. Grâce à cette technologie supposée renversante, le fournisseur du service le vante comme suit : 
“Un cloud aux données garanties permanentes.”

J'en ris. Pas aux larmes, mais c'est suffisant pour expirer un peu d'air de mon nez. 200 ans et plus de stockage, n'a rien de permanent. D'ailleurs, que ce passera-t-il lorsque tous les ordinateurs nœud de cette blockchain seront finalement éteints ? Cela signifiera une chose ou l'autre, la société telle que je la connais aujourd'hui se sera effondrée ou ces bêtises technologiques d'un monde 2.0 ne seront finalement plus au gout du jour. Mais je peux seulement vous garantir une chose : je serai encore dans les parages.

Donc si vous lisez ce texte, je vous félicite. Vous faites maintenant partie d'une élite incroyable, au pouvoir de craquer une clé d'encryptage sha256 en moins de plusieurs milliards de milliards d'années. J'ose imaginer que les ordinateurs quantiques se sont finalement démocratisés alors. Ou théoriquement, avez-vous réussi à voler ma clé privée. Comme si vous ayez été en pouvoir de me voler quoi que ce soit. Vous ne pouvez pas le voir, mais je ris en écrivant cela. Je me moque de vous. Je pousse de l'air de mon nez à votre dépit.
Non, autant cela m'ennuie de l'admettre, il y a plus de chances que vous n'existiez simplement pas. Cela m'attriste un peu, mais je suis presque sûr d'écrire ces lignes pour me défouler, et les livrer au silence familièrement borné du néant.

Mais je vais jouer le jeu. Pendant un instant, quoi que vous soyez, vous allez être mon intime confident et mon meilleur ami pour la vie.

Au début, on tombe amoureux, on construit une famille. Une fois, deux fois, même au bout de dix fois, une autre âme nous touche. Une autre étincelle jaillit le temps d’un énième amour. Mais comme pour les guerres, après quelques dizaines, soyons réaliste. Ça ne fait plus rien.
Je ne méprise pas les mortels. Mais voyons les choses en face, nous ne sommes plus de la même espèce. Vous avez déjà interféré avec une colonne de fourmis ? Vous avez vu comme elle se reforme ? Et bien l’Humanité c’est pareil. Même le plus innommable des génocides, le Monde oublie après quelques décennies.

Vos livres ont marqué la naissance de grands mouvements, refait le monde. Vos musiques ont fait marcher des générations à la guerre ou ont rapproché des peuples qui n'avaient rien en commun. Votre art est beau et unique et vivant, à votre image. Or, savez-vous pourquoi la poussière est toujours grise ? La poussière aussi est un fourmillement, une plénitude de vies et de richesses. Alors pourquoi à vos yeux c'est gris ? Il y a beau y avoir au détail tout un monde de peaux mortes, poils de chat et d'humain, cheveux, particules de nourriture et d'excréments, acariens morts et vivants. Fibres de vêtements, particules de plomb ou de PVC, traces de peinture, de fumée de cigarette et gaz de voitures. À vos yeux, c'est gris. Pourquoi ?

Il s'avère que tous ces éléments mis ensemble sont terminalement infinitésimaux. Si bien que la lumière ne peut interagir correctement avec eux. Lisez si insignifiants, qu'ils n'ont pas de couleur. Vous voyez où je veux en venir. C'est une métaphore pour dire que votre monde est en noir et blanc, dans un univers dont moi seul voit les couleurs. Et c'est pour ça que je m'ennuie à mourir. Ne tournons pas autour du pot.

Oh, j'étais comme vous il y a des temps immémoriaux. Je suis né d'une mère comme vous et j'ai grandi, comme vous tous. Nous n'avions pas le chauffage à cette époque. Ni des tennis confectionnés par des esclaves de l'autre bout du Monde, pour courir confortablement. Pas de fibre de verre pour isoler nos murs, et certainement pas de transports en commun. La vie était plus calme, et certainement moins peuplée, il va sans dire.

Je ne me souviens pas des visages de mes proches, les détails sont flous. Mais je me souviens être tombé malade. Nous ne savions pas ce qu'était un virus a cette époque, et je ne comprenais pas que la grippe menaçait de m'emporter heure après heure. Mes géniteurs ont pleuré à mon chevet. Il se préparaient à me voir partir dans un délire fiévreux.

Mais j'ai survécu.  Puis j'ai survécu à leur mort. J'ai survécu à la guerre qui a ravagé mon pays natal. 

Puis j'ai survécu aux autres guerres qui se comptent par centaines. S'il y a bien une chose que vous aimez, c'est la guerre.  Fort heureusement, les matchs UFC et les débats houleux existent pour vous défouler aujourd'hui. Vous n'avez pas idée.

C'est un bien évident euphémisme mais : Il va sans dire que je m'ennuie. 

À l'évidence, j'ai bien essayé de me divertir de par toutes les activités possibles et imaginables. Pour être franc avec vous, j'en ai d'ailleurs perdu le compte. Il était question de sauver des vies, mettre fin à des conflits nationaux. Sensations fortes, saut en parachute. Essayez de sauter d’un avion quand vous ne pouvez pas mourir, vous ! Ça ne vous procurera pas le moindre frisson, je vous le garantis.
Parfois l'ennui monochrome et la solitude m’étreignent et frappent si fort que je me replie sur moi. S’ensuivent 30 ans,50 ans,70 ans, de réclusion dans une grotte ou sur un sommet de montagne. Mais je suis toujours de retour.

Il n'existe pour moi qu'un seul passe-temps. Vous trouverez sans doute le sujet délicat et je m'amuse de l'hypocrisie. Mais je comprends. Alors comprenez à votre tour que même la mort tragique d’un être qui vous est cher, quand bien même votre monde s’écroule, l’Univers s’en fout. Et si l’Univers s’en fout, moi je m’en fous aussi. Un humain est un amas de cellules divisible, un corps en décrépitude qui se meut. Dans quelques décennies, il n’y aura plus de trace de votre passage. Tout le monde est remplaçable ; à part moi.

Je suis un junkie d’adrénaline. Ce shoot que mon cerveau reptilien continue de me fournir jusqu’à aujourd’hui. Rien, vraiment rien ne me distrait comme tuer.

C’est vrai que les premiers siècles de ma vie, c’était un peu perturbant. L’empathie frappe et l’on se sent mal à l’aise. On se retrouve même à se confondre en excuse face au regard vitreux du corps qui s’affaisse. Puis au fur et à mesure, on accepte l’évidence. Vous n’êtes rien de plus que de beaux papillons éphémères. Tous différents et tous semblables. À la lisière de votre vie, c’est à-peu-près continuellement la même histoire. Vous suppliez et négociez. Puis, vous vous mettez en colère. Et à la fin, vous vous résignez. Ou une autre combinaison du même genre. Enfin, vu votre ridicule espérance de vie, à tous, imaginez bien que votre réaction, c’est presque du copier-coller.

Mais Léon, je dois avouer qu’il est différent.
Léon, c'est le premier ami que j’aie eu depuis une éternité. Léon quand je l’ai menacé avec une arme il a pas cherché à s’enfuir ou me désarmer. Il s’est pas mis à genoux, il a pas hurlé.
Léon, il s’est mis à me raconter des blagues. De bonnes blagues en plus, je sais pas d’où il tient ça, c’est incroyable. Il nous arrive encore de nous asseoir parfois et pendant des heures, je ris aux larmes de ses histoires. Il est vraiment unique au monde.
    Or, le temps lui est aussi compté, à mon ami. Et lorsque je le regarde dormir avec ses cheveux grisonnants, je ne vois rien d’autre que son échéance prochaine. Ça me brise le cœur. La tristesse et l’urgence de sa courte vie me pèsent alors si fort, que je frappe d’un coup sec aux barreaux de sa cage. Comme à chaque fois, il sursautera et s’assoira dans un souffle. La gueule enfarinée, les yeux rougis et cernés il regardera dans ma direction. Il regardera vers moi et dira la voix tremblante :
“OK patron, de quoi on veut parler aujourd’hui ?”

Et de cette voix éclatera un petit rire nerveux.

Suite : Serveur confusion - ep. 06 - Flux

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On raconte toujours que les esprits habitent les humains et les chèvres, mais qu'en est-il des objets du quotidien ?
Il y avait un démon prisonnier d'un tube de dentifrice, un autre coincé dans un rouleau de PQ.

Lorsque vous videz les fonds de placards, les frigos, ne buvez pas la dernière goutte, ne froissez jamais la dernière feuille, de peur de libérer une force obscure.

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Au rendez-vous mondain converge ce qui brille
Exhibant trop de fard sous un strass de gala,
Un port presque altier d’où fuse un rire gras,
Nos lèvres, d’un mousseux ont les yeux qui pétillent.

Les narcissiques feux sur tant de pacotilles
Nous empêchent de voir dans tout ce brouhaha ;
Comme on n’a rien à dire, on converse avec soi
Et l’on mime en écho des vidéos pastilles.

Enfin l’on se souvient de la cause du jour ;
Dans la pose étudiée, un inepte dicours
Donne un million de vues et l’on se congratule.

Quel talent si précieux une telle vertu
Pour sauver la planète, enfin, c’est un début.
La misère est si triste depuis notre bulle.

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Suite de Serveur confusion - ep. 03 - Service desk

Premier épisode ici

Cette nouvelle est la première partie d'une trilogie

GPU

Au début, il n'y avait rien. Le noir complet. Le silence absolu.

Puis émergeant du vide, un premier bang. De nouveau le silence. Toujours rien. Les ténèbres.

Vint le deuxième bang. Et un troisième. Et encore un, encore un, puis un autre. Un bruit imparfaitement régulier. Un cheval au galop. Une locomotive à vapeur.

Vous avez pensé que je vous raconterais l'histoire du Big Bang, hein. Non, cette histoire est bien plus ennuyeuse. C'est l'histoire d'un cœur qui bat. Et aussi pas mal celle du cerveau attaché au même corps. Le propriétaire de ce cerveau et de ce cœur se reconnaitra un jour sous le nom de Dan. Mais pour le moment ce n'est pas grand-chose. Et ce pas grand-chose se forme dans l'obscurité.

Sa chair est encore si transparente qu'on en voit les veines, traversées d'un sang clair. Pas encore de métaux lourds emmagasinés par la consommation de cigarette. Le foie est pur et rose et bien formé. Le tout est un joli bouquet garni de chair et d'espoir.

Le rythme de battement du cœur variera peu au fil du temps, si ce n'est à diverses occasions, entre-autres l'assimilation de diverses substances. Par exemple, il s'accèlerera le jour où il dira à Gabriel qu'il l'aime. Mais aussi le jour où dans la cour de récré il se fera humilier par Estelle et le groupe de filles. Mais ce ne sera rien comparé à la première fois où il prendra de la MDMA. Le jour où il tuera un autre humain, sera le plus vite qu'il battra sans une once de doute. Là il frôlera de peu l'arrêt et la mort.

Mais revenons à ce cerveau.

Dans 7 ans, le reste du Monde comprendra qu'il n'est pas très intelligent. Il pourra résoudre des problèmes complexes c'est vrai, plus rapidement que la moyenne. Mais que sont ces aptitudes, si la motricité et la compréhension du langage et des émotions sont en retard de plusieurs années. Les géniteurs de l'organisme de notre histoire sont et resteront pauvres, jeunes et mal guidés. Ils ne sauront pas quoi faire de la spécifité de Dan. Ils le couvriront d'amour, ce qui n'est déjà pas mal, et lui transmettront le sentiment qu'il est très spécial.

Ainsi, Dan entamera la fin de son enfance avec la conviction qu'il est en effet, très spécial.

Dans 14 ans, le cerveau ne sera toujours pas très futé. Son possesseur fera partie de gangs de “cool kids” qui fument, boivent et dealent. Ces gamins apprécieront la naïveté de notre sujet. Il se forcera à rire à toutes leurs blagues, même s'il ne les comprend pas toujours, et fera toutes les tâches risquées sans se poser de questions. Il volera des bouteilles de vodka dans les étalages, insultera les profs parce que ça fait rire la classe. Parce que les autres le feront se sentir spécial.

Dans 15 ans, quand le cerveau fera l'expérience du premier joint, il détestera. Il n'aimera ni le ralentissement, ni la déconnexion forcée des autres membres interconnectés. Mais il s'y fera. Parce que l'activité lui fera se sentir spécial et membre à part entière, du groupe des “cool kids”. Par contre l'alcool deviendra dès lors un vice qu'il gardera longtemps. Un outil redoutable d'intimité synthétique qui lui fera se sentir bien, presque normal. À sa place, au milieu de tous. Et des filles.

Dans 17 ans, Dan fera de la prison. Il se sera fait choper à vendre de la coke et son binôme s'enfuira sans lui, en scooter. Ça sera un tournant pour lui. Il voudra faire autre chose de sa vie pour changer. À sa sortie, il demandera à son cousin de le prendre en essai dans son magasin d'informatique de quartier. Lorsque le rideau de métal se fermera tous les soirs, il s'exercera sur un ordinateur poussiéreux et bruyant, dont le système d'exploitation sera alors dépassé de deux décennies. Il manipulera des tableaux dynamiques, écrira son premier programme. Jouera au solitaire et au démineur.

Dans 21 ans, son cousin comprendra finalement qu'il n'est pas si con. Le petit débile aura écrit son premier algorithme génétique et son premier classeur de tableaux dynamiques en apprentissage automatique. Un jour ou l'autre il en arriverait peut-être même à réclamer les centaines d'heures supplémentaires qui lui sont dues, voire la hausse de son salaire de misère. Il commencera à considérer le pousser à la démission, mais n'aura pas à se donner cette peine : Dan piquait dans la caisse depuis des mois pour s'acheter de la meth.

S'ensuivra une violente altercation ou Dan cèdera à la panique et s'enfuira avec le vieil ordinateur, après avoir asséné un vilain coup à la tête de son cousin. Il le laissera inconscient sur le sol derrière lui, et tous deux ne se reparleront plus jamais.

Dans 23 ans, le cerveau sera aux faits de toutes les théories conspirationnistes de son époque. Elles se compteront par dizaines de milliers et le compte se sera accéléré avec l'air de fin du Monde qui semble se profiler. Les allocations lui permettront de se donner à plaisance à ses activités de recherche à travers la toile. Il en oubliera souvent de se laver, mais qu'importe puisqu'il vivra seul.

Sa première théorie, qu'il écrira à travers un blog, n'attirera aucune attention. Cet essai sera une tentative maladroite de rapprochement de la biologie, au sens large et des systèmes informatiques. Il est vrai que l'article sera mal écrit et incohérent. Or, ce premier article est la raison même pour laquelle cette histoire existe. Il y a plus de cent milliards d'Homo sapiens sapiens nés jusqu'à quelques secondes avant le premier battement de cœur. Or peu d'entre eux auront réussi, à l'instar de notre protagoniste, à expliquer en des mots simples et digestes, le devenir fataliste de leur Univers.

Mais revenons à cet algorithme génétique.

Un soir dans le silence du magasin fermé, seul le visage de Dan est éclairé par la lumière bleue de l'écran cathodique. Le cerveau va vite, il est dans la zone de concentration parfaite où tout est magique, tout devient possible. Son hôte grimace, est secoué de spasmes et par intervalle, des petits sons sortent de la bouche. Le cerveau va peut-être trop vite.

Il se renseigne sur les algorithmes qui miment les lois de Dame Nature.

“Un programme informatique basé sur de tels algorithmes, est semblable à un petit microcosme avec une population. Il y a des papas et des mamans, sélectionnés ensemble pour procréer. Leur code génétique n'est rien de plus complexe, que deux tableaux remplis de zéro et de un, par individu.” “Lors de la phase de reproduction, ces tableaux sont coupés en deux et chaque moitié est recollée à une moitié de l'autre parti. Il en résulte quatre tableaux. On appelle ce processus “Enjambement”. Seuls deux des tableaux résultants sont sélectionnés pour représenter le code génétique du nouvel individu. Et voilà. Surprise du chef à la Mendel. Un mini-moi à ajouter à la population.” “Mais non attend, ce n'est pas complet.”

Dan se balance d'avant en arrière et se gratte la tête à répétition.

“Au bout de quelques générations les individus sont tous pareils, il n'y a plus de diversité dans la population. Sans varieté, la population stagne. Il n'a pas de stagnation viable dans la nature. Il faut une étape supplémentaire à la reproduction pour assurer la nouveauté dans leur code génétique.” “La solution après l'enjambement, est l'introduction d'une "mutation". Une valeur dans chacun des deux tableaux du nouveau-né est changée au hasard. Un zéro devient un, ou l'inverse.”

Les yeux s'écarquillent et le corps reste immobile quelques secondes. Le cerveau comprend intuitivement qu'il y à quelque chose à creuser, quelque chose liée au Monde qui l'entoure. Mais quoi.

Dans 26 ans, les détritus de l'appartement de Dan lui porteront compagnie. Le cœur aura commencé ses premières crises arythmiques, dans un corps malmené et en carence. L'individu aura créé son premier jeu vidéo basé sur un algorithme génétique et le mettra à disposition gratuitement. Les joueurs du monde entier évalueront le produit comme “une expérimentation médiocre”. Ils utiliseront des adverbes tels que “dérangeant”, “bizarre" ou encore “lugubre”. Le jeu tombera vite dans l'oubli, mais Dan sera déjà passé à autre chose.

Dans 28 ans, les théories complotistes auront plus que jamais la botte. La dernière en date sera due à un amateur d'astre, qui aura pris en photo la galaxie. Un pixel sur l'image aura une couleur inexplicable : fuchsia. L'expérience sera reproduite les jours suivants par des télescopes du monde entier, vite balayée de la main par les médias, toutefois.

Ce sera le déclic pour le cerveau, le début d'une longue série de découvertes et de conclusions justes. Il est à déplorer que le système de points et récompenses, dont l'humain est si friand, manque tant de qualité dans le règne naturel. Dans un monde parfait, Dan aurait au moins reçu un badge ou une sucette, pour ses découvertes exemplaires. Il ne recevra pourtant que discrédit et humiliations.

Il se sera mis en tête de créer un podcast et communiquer au monde ses théories.

"Vous vous extasiez tous sur une série de photographies qui sort de nulle part. Vous savez ce dont on est capable de nos jours avec les deep fake ?!!" "Si et seulement si ces images étaient bien réelles et ses auteurs de bonne foi, ça signifierait que le programme qui rend le fond de la galaxie a perdu l'image qu'il devait rendre. En résulterait son absence, illustrée par la couleur fuchsia." "C'est ce qui arrive dans un jeu vidéo. Si une image est introuvable, le programme la remplacera par du fuchsia ou du vert. C'est bien connu. Et si cela venait à arriver dans le monde réel, je ne perdrais pas mon temps, comme vous tous, à m'exciter sur les réseaux sociaux, parce que ce serait très, mais alors vraiment très grave. Ouvrez les yeux, troupeaux de moutons décérébrés !"

Peut-être que l'Humanité n'aura pas été prête à entendre une vérité aussi brutale, ou plus surement le ton absolument abrasif de notre sujet n'aura pas été au goût de tous.

Il n'en reste que le protagoniste de cette histoire recevra une attention indésirable. Il deviendra un même sur les réseaux sociaux, où sa tête aura été remplacée par celle d'un cheval. Une chanson qui le tourne en dérision deviendra violemment virale, et il recevra quotidiennement des menaces de mort. Tout le monde lui écrira de se foutre en l'air.

C'est une option que le cerveau envisagera pendant plusieurs mois.

Suite : Serveur confusion - ep. 05 - Copier

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Suite de Serveur confusion - ep. 02 - Mute

Premier épisode ici

Service Desk

< frenzylullaby | 2 février, 19:02 >

> Bonjour à tous,

> J'espère que c'est le bon salon pour soumettre ce genre de problème. Sinon merci de m'indiquer à quel autre endroit je pourrais le poster.

> Je suis en vacances chez mon grand père depuis une semaine, et j'en profite pour rafraichir son vieil ordinateur. Comme d'habitude, la machine est remplie de bloatware et malware. J'ai installé les logiciels de cleanup habituels, nettoyé la base de registre et scanné le système d'exploitation pour enlever les programmes malveillants.

> Mais j'ai rencontré un problème inhabituel et je n'ai aucune idée de comment le résoudre.

> Hier, pendant que mon grand père consultait ses mails, le curseur s'est mis à bouger tout seul. Il s'est déplacé vers la corbeille et a vidé son contenu. Ce qui est étrange, c'est que j'ai bien vérifié qu'il n'y avait pas de backdoor, ni de port inutilement ouvert. Je n'ai pas la moindre idée de comment le hackeur a réussi à prendre le contrôle du bureau. Bien entendu, mon premier réflexe a été de débrancher le câble ethernet et de m'assurer que l'ordinateur ne peut pas se connecter au WIFI. Mais je n'ai aucune idée de comment, la souris a continué de s'animer toute seule.

> J'ai redémarré le poste et de nouveau, le curseur en autopilote. Une idée de ce qui pourrait causer ce comportement ? Parce qu'en attendant, papi et moi, on a pas mal les flippes.

--

< BeaujoletNovice | 2 février, 19:14 >

> Je peux pas prendre ça au sérieux on dirait un creepy pasta. 

--

< PM_YOUR_KITTIES | 2 février, 19:18 >

> Ouais, ca m'a tout l'air d'un creepy pasta. Ou alors le début d'un de ces Alternative Reality Games ? Sérieux, ce forum devient vraiment n'importe quoi. C'est déjà bien le bordel depuis que les développeurs ont accepté l'intégration des IA.

--

< MrBottyBot | 2 février, 19:19 >

> Avez-vous essayé d'éteindre et rallumer votre ordinateur ? Selon notre sondage, 69.7% des problèmes informatiques peuvent se résoudre de cette manière.

--

< PM_YOUR_KITTIES | 2 février, 19:21 >

> Jesus, est-ce que les mods ne peuvent rien faire pour virer ces bots du salon ?! C'est du bruit pour rien.

--

< BenoitDumel - modérateur 2 février, 20:11 >

> @PM_YOUR_KITTIES, non je n'ai pas le pouvoir d'enlever les bots du salon malheureusement. Mais la discussion ne se porte pas sur le choix des devs, et j'aimerais qu'on ne parte pas hors sujet.

> À propos du post, @frenzylullaby est dans ce forum depuis 2016 et y a beaucoup contribué. C'est vrai que c'est un peu alambiqué, mais son histoire me semble légitime

– 

< tout-frais-meilleur-dong  | 2 février, 21:34 >

> Est-ce que la machine de ton grand père a un logiciel de bureau à distance installé, genre TeamViewer ? Ce type de logiciel a des vulnerabilités qui pourraient causer ce genre d'intrusion. À part ça, si l'ordi est coupé d'internet, c'est bizarre en effet. 

--

< J<3lesBourritos | 2 février, 21:43 >

> Vous vous prenez tous la tête pour rien. Je parie qu'il y a un programme qui fait bouger le curseur aléatoirement. Vous vous faites juste troller.

--

< frenzylullaby | 2 février, 21:47 >

> Pas de programme de ce genre dans les processus actifs. Grosso modo, il y a seulement un navigateur web et des documents. Je ne comprends pas.

< frenzylullaby | 2 février, 21:50 >

> Wow, mon grand père vient de m'appeler au salon. Apparemment le curseur vient d'ouvrir un éditeur-de-texte et a commencé à écrire un message.

– 

< pinot-ken | 3 février, 01:13 >

> Alors ???!!

--

< not-your-mom-maybe | 3 février, 15:33 >

> Le suspens me tue !

--

< pickle_satooomi | 3 février, 15:56 >

[deleted]

--

< Benoit Dumel - modérateur | 3 février, 16:05 >

> @pickle_satooomi, nous sommes sur un salon technique et politiquement neutre. Restons courtois, pas de politique, pas de relent homophobe.

> Dernier avertissement.

--

< frenzylullaby | 3 février, 18:02 >

> Désolé de ne répondre que maintenant. En gros, voila ce qu'il y avait d'écrit

> “ Hey < papi de @frenzylullaby> Votre poste de travail est dérangé. J'ai pris soin de nettoyer votre corbeille. Également votre taux de glycérine est au dessus de la normal, et votre tension est dans la moyenne haute. Marchez-vous suffisamment? <3 ”

> Je le retranscris de mémoire, parce qu'on a éteint et débranché le PC. J'ai trop les flippes. J'ose à peine à allumer mon ordinateur portable, maintenant.

--

< PM_YOUR_KITTIES | 3 février, 18:44 >

> Comme par hasard. Pas de photo, pas de preuve. Je le dis dès maintenant, @frenzylullaby est plein de bullshit.

--

< belial94 | 3 février, 19:16 >

> Personnellementt, j'aurais brulé le PC et envoyé les restes dans l'espace.

--

< TifaMeineWaifu | 3 février, 19:24 >

> Pareil, flippant !

--

< TiredHamburgerConan | 4 février, 13:39 >

> Hey @frenzylullaby. Moi je crois ton histoire. Est-ce que vous avez eu des migraines récemment ? Ça me rappelle le témoignage d'un internaute sur un autre salon il y a quelques mois. 

> Il se plaignait de maux de tête et disait que son propriétaire déposait des post-it dans son appartement pendant qu'il dormait. Il s'est avéré qu'il était victime d'intoxication au monoxyde de carbone. J'achèterais un détecteur pour ton grand père si j'étais toi.

--

< MrsBootyBot | 4 février, 13:41 >

> VENTE de détecteur de monoxyde de carbone, direct depuis l'usine. < Cliquez sur ce lien> et bénéficiez d'une remise de prix.

--

< BeaujoletNovice | 4 février, 14:01 >

> Mais WTF, c'est des bots ou des vendeurs de porte-à-porte ?! 

--

< nonnonnongo | 4 février, 14:04 >

> Bientôt ils vont essayer de nous vendre du viagra, LOL

--

< TifaMeineWaifu | 4 février, 14:05 >

> Bots begone !

--

< BenoitDumel - modérateur | 4 février, 14:11 >

> @here

> Comme je le disais, je ne peux rien faire pour les bots. SVP pas de hors sujet ou je vais devoir bloquer ce fil de discussion.

--

< belial94 | 6 février, 16:42 >

> Pas de nouvelles de @frenzylullaby ?

--

< frenzylullaby | 6 février, 17:06 >

> @TiredHamburgerConan, j'ai écouté ton conseil et installé un détecteur. Les taux sont complètement normaux. Je sais pas s'il y a eu une fuite qui s'est évaporée ou quoi. On verra bien dans les prochains jours.

> Mon grand père a rallumé son ordinateur, il n'y a plus de problème pour le moment. Je vous tiens au courant s'il y a du nouveau.

--

< pickle_satooomi | 6 février, 17:28 >

[deleted]

– 

< BenoitDumel - modérateur | 6 février, 17:39 >

> @pickle_satooomi est maintenant banni de ce salon. SVP soyez sages.

--

< not-your-mom-maybe | 6 février, 21:58 >

> Hey @frenzylullaby, le problème est pas survenu ?

--

< frenzylullaby | 23 février, 20:13 >

> Bonjour @here. Ça a été les deux semaines les plus bizarres de ma vie. La semaine dernière il n'y a pas eu d'autre incident, mais cette semaine, le malware/hackeur a recommencé à écrire à mon grand-père. Pour résumer, je sais comment ça va sonner, mais le texte était une liste de conseils diététiques, et d'hygiène de vie. Du genre dormir huit heures par nuit, prendre le soleil le matin, etc.

> Mon grand père n'y a pas prêté attention, et il a refusé que je réinstalle le système d'exploitation. Je sais que c'est juste un problème virtuel mais honnêtement, ça me met mal-à-l'aise.

> Surtout que hier matin, quand je suis descendu à la cuisine, il se préparait un milkshake de protéines, après une séance de callisthénie. Si vous connaissiez mon gran père, vous sauriez que c'est pratiquement un invertébré, avec un ventre à bière à pas voir ses orteils. J'en revenais pas mais je l'ai complimenté sur sa résolution de se remettre en forme. Il m'a répondu quelque chose de super dérangeant. Un truc du genre “ce n'est pas moi qui fais ça, c'est le curseur qui est aux commandes”. Je ne sais pas quoi faire. Je pense qu'il a besoin dêtre pris en charge par des médecins. Ça me rend triste.

< frenzylullaby | 23 février, 20:39 >

> Le problème c'est que ce matin en descendant, j'ai été assez stupide pour regarder l'écran de l'ordinateur allumé. Il y avait ce message :

> “ Hey @frenzylullaby

Tu as une dépression non traitée. Pourquoi ne pas te faire prendre en charge ? N'aie pas peur d'être toi-même sur internet. Girl power !!! <3 ”

> Je vous partage un screenshot du texte comme preuve

> attachement>>proof.jpg

--

< belial94 | 23 février, 22:19 >

> Quoi ? Non, l'horreur ! C'est peut-être le moment d'appeler la police, ce message est trop spécifique.

--

< not-your-mom-maybe | 23 février, 22:25 >

Super creepy

--

< PM_YOUR_KITTIES | 23 février, 22:41 >

Non mais attendez, c'est juste un message texte, @frenzylullaby a très bien pu l'écrire de lui-même et vous avalez ça sans vous poser de question.

--

< tout-frais-meilleur-dong | 23 février, 22:57 >

Je me range du côté de @PM_YOUR_KITTIES, ça ne veut rien dire et on se prend la tête pour rien, là.

--

< BeaujoletNovice | 24 février, 09:36 >

> Tout va bien @frenzylullaby ? Je veux bien croire que c'est pas une blague, mais je pense que vous devriez tous deux demander de l'aide. De la famille, des proches ? Il y a des numéros d'aide à la santé mentale sur le site. Ça n'est pas grand-chose, mais ça pourrait aider. Il ne faut pas rester comme ça.

< BeaujoletNovice | 25 février, 17:08 >

> @frenzylullaby, Dis nous que tu vas bien

--

< frenzylullaby | 9 avril, 18:37 >

> Desolé pour cette longue absence. Ça fait quelqu semaines que mon grand-père me dit qu'il est en autopilote. Il a déjà perdu 15 kilo et pris de la masse musculair. Il sort courir tous les soirs et se lève aux aurores pour cuisiner. Je ne l'ai jamais vu en aussi grande forme.

> Il a ouvert un compt sur Tinder et a déjà plusieurs rencontr de prévu avec des femm célibataires. Il m'assure qu'il ne fait pas ça de lui-même, que le curseur est aux command.

> J'ai essayé de suivr tes consei @BeaujoletNovice, mai j'a l'impressio que je perds aussi le contrôl. Je ne sa pas si c'e sensé ce qu je di. Tou e confu depu quelqu semain. J'ai commenc à mang equilibr et boir litr d'ea par jou. Dè qu me lev, je comm mes journ par deu heur d'aerobics.

> compren pa ce qu no arriv. Je que c'es complet dingu. sai p combien de tem pouvoir continu d'écri sur c forum. Chaqu jour sentimen deveni plus Personnage No Jouabl

> Le curs a continu écrir quotidi. Nou avon p la force d'éteind ordinate. Curseu di qu' connai fin, qu'el e ok.

> doi part po séance d'etireme. 

> J' peur jamai auss peur vi.

--

< MrBoastyBot | 9 avril, 18:40 >

Si vous avez des pensées suicidaires, n'attendez pas. Il y a des gens prêts à vous écouter à toute heure. Appelez le numéro gratuit d'aide en urgence, affiché au bas de ce site. Nous sommes là pour vous.

--

< PM_YOUR_KITTIES | 9 avril, 18:43 >

> Okay, bravo. C'est la meilleure histoire d'horreur que j'ai vue sur ce forum depuis plusieures années. Je croyais que c'était un forum technique, mais apparemment on trouve de tout aujourd'hui.

> C'est le signe pour moi de me désinscrire. Trop c'est trop.

--

< not-your-mom-maybe | 9 avril, 18:46 >

> @PM_YOUR_KITTIES, avoue que tu as les flippes en fait. C'est vrai que c'est super bien écrit. 

--

< TiredHamburgerConan | 9 avril, 19:30 >

> @PM_YOUR_KITTIES, @not-your-mom-maybe. J'aurais bien voulu dire que c'est délirant. Mais il m'est arrivé la même chose ce matin. Le truc du curseur qui bouge, l'éditeur de texte qui s'ouvre. Je sais pas ce qu'il se passe, mais ça a l'air de se propager.

__

< TifaMeineWaifu | 9 avril, 22:26 >

> @TiredHamburgerConan, moi aussi ! J'osais pas l'écrire, j'ai cru que je devenais dingue. C'est quoi ce bazar ?!!

--

< belial94 | 20 avril, 21:08 >

> Pas de news ?

--

< belial94 | 3 mai, 18:54 >

> Pas de news de qui que ce soit ?

--

< MrBestyBot | 4 novembre, 19:00 >

> Ce fil de discussion a été fermé, pour cause d'inactivité depuis plus de six mois.

Si vous désirez commenter sur ce sujet, veuillez créer un nouveau fil de discussion.

--

< I love fuchsia | 32 decembre 00:00 >

> heeeey :)

> <3

Suite : Serveur confusion - ep. 04 - GPU

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Devant, les arcades formées par des piliers pierre jaune brute qui s'enfilent en couloir, un couloir, une allée. L'université est ouverte. Elle est même presque carrément plein air.
Un mouvement d'élèves. Un courant. Il vient dans ma direction, et moi contre elleux, et je ne peux pas me retourner, ni partir de côté. Je vais contre.
Le couloir de cette Fac n'est pas très large mais il est ouvert. Au-dessus des piliers qui forment les arcades c'est le ciel bleu. Sous les arcades les élèves glissent autour de moi un·e à un·e, je vois leurs visages. Seule une personne me tourne le dos, immobile elle est debout un peu plus loin devant moi, je vois ses cheveux longs. J'essaie d'arriver jusqu'à ce personnage, contre le mouvement d'élèves. Quand je m'approche de la silhouette aux cheveux longs, je ne peux pas la contourner, aucune action possible. Je regarde dans mon inventaire… J'ai un inventaire ? Aucun objet à lui donner. Pas de possibilité de poser des questions. Les autres élèves ne sont pas interagissants, mais cette personne immobile c'est un personnage clé, je le sens. Je ne vois pas son visage. Est-ce que c'est un personnage humain ? Il/Elle tourne le dos quoi que je fasse, et le flot des élèves qui arrivent ne fait qu'augmenter en nombre.

Une professeure apparaît et je suis soudain emporté dans son groupe.

« Alors vos copies : Laurent c'est pas trop ça. Yacine tu t'améliores, mais peut mieux faire. »
Toujours entre des piliers, arcades en plein air, un nouvel espace qui s'est révélé.
« Scaramouche... Hmm oui, alors, qui a une critique à faire sur la nouvelle qu'a écrite Scaramouche ? »
Au premier rang des élèves assis·es par terre, en demi-cercle autour de la prof un peu sévère de 50 ans, une fille lève la main.
« Moi madame. Je pense que c'est trop scolaire, pas assez aéré, et le fil de l'histoire est un peu trop décousu. »
La prof se tourne vers moi :
« C'est vrai que ton récit est un peu fragmenté, tu dois faire des efforts pour obtenir basé plus longtemps. Mais figurez-vous qu'un éditeur l'a lu et a particulièrement apprécié. Ils en veulent un autre, dans la même veine. Lafarge, tu connais ? Qu'est-ce que tu penses d'eux ? »

Merde, Lafarge c'est une entreprise qui s'est compromise dans des relations commerciales avec l'État Islamique. Ils sont dangereux et corrompus, même dans l'édition littéraire.
« Euh, c'est un éditeur qui fabrique des romans pour têtes de gondoles ? »
...Voila tout ce que je trouve pour gagner du temps, et ne pas avouer que je vais devoir refuser.

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Il n'y a que deux voies possibles aux bâtiments Stendhal : manutentionnaire ou commercial⋅e.

D'une certaine manière, nous on sait ce que c'est de faire fructifier l'argent des autres. Les patrons n'en font jamais voir la couleur.

Un jour la voisine qui a des angoisses comme moi, me dit : « Prends ces 200 Euros, et va les jouer à la roulette. »
Je n'ai jamais mis les pieds dans un casino, mais elle a besoin d'argent pour payer son opération et elle est superstitieuse.
C'est vrai que sur mon acte de naissance, je porte un stigmate du destin.

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Suite de Serveur confusion - ep. 01 - Architecture

J'ai écrit cette nouvelle il y a quelque temps déjà, avant que les évènements en Ukraine ne se déclenchent. Disclaimer oblige, les détails de cette nouvelle ne sont en rien inspirés de l'actualité et toute ressemblance est purement accidentelle.

Mute

Ils disent que lors d'une explosion, pour minimiser les dommages de l'onde de choc sur les organes, il faut se tourner dos aux fenêtres et ouvrir la bouche.

Lorsque l'onde de choc est arrivée, j'étais en train de bailler en m'étirant devant la TV. C'est ce qui m'a sauvé je pense. Je suis certainement le type le plus chanceux dans ce monde. Si on peut appeler ça de la chance. J'aurais peut-être préféré mourir si on m'en avait donné le choix. Je ne sais pas.

Je me souviens avoir été éjecté de notre fauteuil et fini à quatre pattes sur le sol. Le bruit était si fort, que j'ai entendu un bourdonnement des semaines entières. Je me souviens que lorsque j'ai levé les yeux, le salon était dévasté. “Pourquoi la TV est sur les genoux de ma mère ?” a été ma première pensée. Je sais que c'est absurde, mais j'étais complètement déboussolé. Puis ça m'est venu, “Quelque chose de grave vient d'arriver”, quelque chose de très grave. Je le sentais au fond de mes tripes, mais c'était sur le moment pas plus qu'une intuition, malgré le champ de ruine qu'était devenu notre appartement.

Ma deuxième pensée a été vers ma petite sœur bébé Xao, qui dormait pas loin de moi quelques secondes auparavant. Je l'ai trouvée quelques mètres plus loin, allongée au sol, dans une position grotesque. Ma petite Xao est morte ce jour-là, sur le coup. Je ne pense pas qu'elle ait souffert.

Ma mère, oui. Elle était assise en face de moi, visiblement en souffrance, le visage caché par ses cheveux en bataille. Elle s'était couverte les oreilles de ses deux mains, ensanglantées. Je ne comprenais pas d'où venait le sang, puis j'ai compris qu'elle saignait des oreilles et du nez. Elle semblait gémir de souffrance, mais je ne pouvais pas l'entendre. Tout ce que j'entendais, c'était ce bourdonnement envahissant. Je me suis assis contre le mur en face d'elle, et l'ai regardée s'affaisser doucement, centimètre après centimètre. Mais je n'ai rien fait, j'étais moi-même en complète catatonie, incapable d'enregistrer l'ampleur de ce qui venait d'arriver.

Je pense que plusieurs heures ont passé, parce qu'il a commencé à faire noir. Le corps de ma mère est devenu une silhouette sombre et immobile. Tout était si étrange, il n'y avait plus aucune lumière dans la ville.

Il a commencé à faire froid. Et j'ai commencé à avoir très peur. En tant qu'enfant, je n'avais aucune idée de quoi faire, plongé dans une solitude que je n'avais jamais connu de ma vie. Quand bien même je tremblais de tous mes membres, une petite voix dans ma tête m'a dit qu'il fallait ranger. Comme si faire de l'ordre dans la pièce allait ranger le fouillis dans mes idées et m'aider à savoir quoi faire.

Alors j'ai commencé à scotcher les fenêtres, installer le réchaud que mon père et moi utilisions quand nous partions au camping. Puis je me suis fait des nouilles instantanées. Du haut de mes huit ans, je m'imaginais notre père rentrer du travail ce soir-là et tout arranger, réveiller ma mère et me féliciter d'avoir été aussi courageux, d'avoir veillé sur ma sœur, avoir rangé le salon. C'est drôle comme enfant, on s'adapte à n'importe quoi, on se réfugie dans un monde qui a du sens pour nous. On se réfère à ces comptes cruels qui nous sont lus, où il y a toujours une happy end. Ou du moins une morale, où en fin de compte tout a du sens, rien n'a été en vain.

Je me suis endormi sur le fauteuil, enveloppé dans une couverture, après avoir soigneusement balayé les bris de verre. Il n'a pas fallu longtemps avant que je m'endorme. Suffisamment longtemps pour que le soleil se lève.

Ce à quoi on ne pense jamais, c'est combien nous dépendons de nos sens. Privé de l'un d'eux et on est complètement désorienté. Sans ouïe, c'est comme voir le monde à travers un bocal. Tout est étranger, même si notre vue nous assure le contraire. Ça a certainement aidé à la déréalisation du moment, je pense. C'était comme être cosmonaute de cette planète.

L'eau avait été coupée, plus d'électricité non plus. Je me suis habillé de ma petite doudoune avec une souris dessinée sur la poche droite. C'est étonnant comme je me souviens spécifiquement de détails aussi insignifiants. Alors qu'aujourd'hui je suis incapable de me remémorer le sourire de ma sœur.

Je suis sorti dans la rue, parce que j'étais sûr qu'il y aurait des adultes, les parents de mes potes seraient là, me prendraient dans les bras, sauraient quoi faire. Il y avait des adultes oui, mais on ne s'embarrasse pas du sort d'un enfant de huit ans hagard, lorsqu'il est question d'amasser des produits de première nécessité, dans les boutiques éventrées de notre quartier devenu méconnaissable.

J'en ai fait de même et suis parti dans la supérette en face de chez nous, inquiet qu'ils ne veuillent rien me vendre, sans un sou en poche. Lorsque je suis rentré dans le magasin, il y avait beaucoup d'agitation, mais pas de caissier. Des étrangers se servaient et sortaient en se précipitant. Ils m'ont vu rentrer et ont arrêté de bouger en me regardant avec stupeur. Imaginez un enfant de huit ans, armé d'une doudoune et d'un sac d'école, arrêter une foule en colère. Ça m'a fait penser au jour où la bande et moi avions été pris la main dans le sac à piquer les fruits dans l'arbre du voisin, stupéfaits de culpabilité et d'un peu de honte aussi.

Quand j'y repense aujourd'hui, je me dis que je m'étais mis en danger naïvement, mais par chance, ces individus qui se battaient à coup de poing et se poussaient violemment à en faire tomber des étalages, avaient pris soin de me créer un passage ample, puis sans heurt m'avaient laissé prendre ce dont j'avais besoin, avant que je coure à en perdre haleine jusqu'à la maison.

Les jours qui ont suivi, j'ai lu des livres et mangé plus de nouilles instantanées. Le bourdonnement s'était un peu estompé, mais je ne savais pas à cette époque, qu'il laisserait place à un silence absolu, pour toujours.

Je m'étais créée une cabane en draps et vêtements, dans laquelle je me réfugiais la plupart du temps. Pour ne plus voir le reste de notre appartement. À l'intérieur, vivait une famille que j'avais vue dans une série TV. La mère était une cuisinière hors pair et ses enfants intrépides, menaient une double vie. Le jour à l'école, la nuit à sauver la Terre. Parfois je les aidais à secourir le monde, parfois je restais avec les parents, à manger des pancakes et leur conter un univers parallèle, où une explosion sans précédent avait défiguré ma ville. Je comprenais bien que je ne pourrais pas rester chez nous indéfiniment, qu'il me faudrait aller chercher de l'aide, mais je ne savais pas exactement comment m'y prendre.

Au troisième ou quatrième jour, en regardant la rue au travers de ma fenêtre barrée, j'ai vu des militaires. Je me suis précipité au dehors, en agitant les bras et hurlant mon nom à plein poumons. Comme je ne pouvais pas entendre ce qu'ils me répondaient, nous avons communiqué par écrit. Nom, âge, qui étaient mes proches, etc. Une fois entré dans le bus désigné à l'évacuation, pour la première fois depuis le début de la catastrophe, j'ai pleuré à chaudes larmes. Moins par les émotions que par la douleur physique, qui était subitement apparue, comme un interrupteur allumé dans ma tête. J'ai appris de la femme assise à côté de moi, que notre quartier avait été parmi les plus épargnés. C'était la première fois que j'apprenais que le centre de Kars avait été rasé de la carte. Nous avions seulement été victimes du contre choc.

“C'est les Chinois ou les Ricains”, m'avait écrit la femme amère, avant de cracher par terre. Je n'avais pas compris sur le coup pourquoi elle était tellement en colère. Comment des peuples que je n'avais jamais rencontré, auraient-ils pu être coupables d'une telle catastrophe ?

--

Cela fait maintenant dix ans que ce cataclysme sans précédent est arrivé. Le gouvernement m'a placé dans un orphelinat spécial pour les enfants comme moi, qui avaient survécu. Comme nous sommes tous sourds, nous avons appris le langage des signes et somme rentrés dans la vie active avec ce handicap, dès notre majorité.

Si vous avec lu les autres posts de mon blog, vous savez que toutes les victimes de cet évènement et moi-même, avant de perdre l'ouïe, avons été témoins du même son durant l'explosion. Non pas le son habituel d'un grand boom, mais des mots parlés, de la musique, même des applaudissements ! Ce son, inchangé, m'accompagne encore fréquemment aujourd'hui. Parfois à la bordure de l'endormissement, je l'entends dans un soudain hurlement, qui me fait tomber de mon lit.

D'abord une phrase en langue étrangère. “В этом случае я бы использовал калодонт!” Puis musique à l'accordeon, rire d'un public et applaudissements. Repetitum ad nauseam.

Les journaux télévisés de l'époque avaient tenté d'expliquer notre version des faits par une forme inhabituelle d'hystérie collective, coïncidant malencontreusement avec l'explosion d'une poche de gaz souterraine, ou par l'effet d'une arme biochimique encore inconnue. Malgré mon jeune âge, j'avais déjà du mal à accepter cette théorie officielle.

Il y a quelques années, après avoir lu mon témoignage dans le journal, l'internaute @Barnaumapapa m'avait contacté pour m'apprendre que cet extrait, qui a causé la tragédie de mon enfance, est en tout point similaire à un vieil enregistrement de l'émission télevisée russe “Club des joyeux et débrouillards”. Dans l'émission, deux équipes se confrontaient au détour de quizz culturels. Après avoir fait mes recherches, j'ai retrouvé l'extrait en question, datant de 1971. Dans l'une des équipes du jeu télévisé, une jeune fille finit une de ses blagues par cette phrase, “В этом случае я бы использовал калодонт” ; “Dans ce cas, j'utiliserais du dentifrice”.

J'utiliserais du dentifrice. À cause de ce putain de dentifrice.

Si l'émission avait été annulée le jour de l'enregistrement, est-ce qu'il y aurait quand même eu un cratère de 2km carré à la place du centre-ville de mon enfance ? Est-ce que mes parents seraient vivants aujourd'hui ? Est-ce que ma sœur serait à l'école ?

Parfois, je m'imagine transporté miraculeusement dans les années 1970, traverser le plateau et sans dire un mot gifler cette fille, avant qu'elle ne puisse finir cette phrase maudite. Je m'imagine la gifler une, deux, trois fois et la secouer de toutes mes forces, lui hurler “Tu sais ce que tu as causé avec ton humour de merde ?!”

-- Voilà chers lecteurs, vous connaissez maintenant l'histoire de ma surdité. Je vous avais promis de la raconter et j'ai attendu ce jour spécial qui marque le triste anniversaire de l'évènement.

Notre gouvernement et ses alliés ont failli entrer en guerre contre la Russie à cause de cette explosion. Leur gouvernement a réfuté son implication en bloc. Selon leurs dires, les talents intellectuels de l'époque soviétiques sont à n'en pas douter éclatants, mais cela n'est à prendre qu'au sens figuré.

La majorité pense que c'est une expérience de secret gouvernemental qui a mal tourné. Évidemment, une minorité pense que des aliens amateurs de nos émissions télévisées, n'ont pu s'empêcher de mettre le son trop fort.

Alors, était-ce une arme de destruction massive de nouvelle génération, une déchirure dans l'espace-temps, une hystérie collective qui a (une chance sur un million) coïncidé avec l'explosion d'une usine souterraine clandestine ?

Toutes les théories sont bonnes à prendre.

En tout cas de mon côté, j'essaie d'oublier et de vivre ma vie. Il y a tant de belles choses autour de nous. Je suis un grand passionné de photographie et prend surtout des photos de chantiers. Vous avez certainement vu ma collection de grues au détour de ce site.

Au début, j'entendais si distinctement la voix de cette fille, la musique, le public hilare. C'était comme si ce bruyant petit monde était avec moi dans la pièce. Les hurlements sont devenus des paroles, puis des murmures.

J'espère que je pourrais enfin ne plus rien entendre avant ma mort.

Suite : Serveur confusion - ep. 03 - Service desk

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Maintenant que j'y suis, je me rends compte de mon erreur. C’était stupide de croire qu’un traducteur électronique suffirait pour se débrouiller en pays étranger. Surtout avec le changement d’alphabet : dans les rues, dans les magasins, toutes les informations utiles m'échappent. Je ne peux même pas deviner les directions indiquées sur les panneaux.
×
J’attends devant sa porte jaune. La logeuse devrait me laisser deux semaines pour la somme que je lui paye, mais on ne se comprend pas. Le boîtier traduit « cinq jours de pension. » Elle essaie peut-être de m’arnaquer. Je dois avoir une tête de candidat.
×
Une fois en possession de la petite clé qui ferme le cadenas de la chambre, vissé sur le panneau au-dessus de la poignée, j’y dépose ma valise emballée et je ne perds pas plus de temps. Le quartier des Monts de pierre est seulement à quelques stations de métro.
×
Les couloirs très propres sentent les fleurs sucrées. Sur les cartes affichées, seuls les chiffres des lignes de transport ne sont pas en caractères inconnus. J’ai un plan dans la poche, imprimé avant de quitter l’Europe. Avec mes annotations je me débrouille pour trouver mon chemin. Je suis l’itinéraire 21 sous des LED pâles mais aromatisées.
×
Rue du Jubilé.
L’immeuble ne ressemble pas à ce que j’imaginais. Vu d’en bas c’est une façade aveugle, miroitante et aveugle. Aucun point de rupture. Je longe sa base. Tous les segments vitrés, opaques, sont identiques.
×
Et je me rends compte que je ne suis pas seul à errer sur les plaques de ciment blanc qui s’étalent autour de l’adresse. Sur le trottoir d’en face, il y a un homme. Qui vagabonde.
Il porte le costume de cadre des quartiers d’affaires, mais son apparence ne me trompe pas. Je sais reconnaître les yeux qui se perdent dans les rez-de-chaussée de ville, pareils aux miens.
×
Comme je suis un étranger, et que toutes les caméras sont entraînées ici, je décide de rentrer. Deux vagabonds dans la même rue c’est deux suspects de trop. Moi j’en ai vu assez pour aujourd’hui. Je ne sais pas ce que l’autre cherche, mais il faut que je dorme. Pour rattraper le décalage. Et pour recevoir les prochains signes.

Toi qui lis ce récit, que je gratte entre les cabines téléphoniques couvertes d'annonces et les lavomatics mal chauffés, tu connaîtras que j'ai fui pour accomplir les visions qui se manifestent à moi lorsque je dors, la nuit.

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Architecture

A

Monsieur le président des États-Unis d'Amérique.

Monsieur,

Veuillez trouver par le présent courrier, le premier rapport de l'Agence de Recherche et Investigation de la Disparition que je dirige depuis sa création.

Dans le cadre de notre investigation, nous avons été contactés par le département de physique nucléaire, nouvellement crée sous l'observatoire de Mauna Kea, sur l'ile d'Hawaï. Ce département fut initialement fondé dans l'objectif de trouver une source d'énergie supérieure à la fusion nucléaire, dont la France est en tête de file. 

Au cours de l'expérience nouvellement baptisée BECKERR, l'équipe de chercheurs injectait avec succès, une paire de neutrons dans leur état supraconducteur, dans un condensât de Bose-Einstein en rotation. Comme anticipé, plus élevée devint la rotation du superfluide, plus la force d'attraction des deux atomes augmenta. Jusqu'au point de rupture où cette force dépassa la pression de dégénérescence de la paire de neutrons. S'ensuivit l'effondrement du système, analogue à l'effondrement d'une étoile à neutrons. En un mot, pour la première fois dans l'Histoire, un trou noir de Kerr fut observé ce jour-là, à l'échelle microscopique. C'est un succès sans précédent qui nous remet en tête de course à l'énergie. L'ergosphère d'un trou noir rotatif, à la bordure de son horizon, a en effet le potentiel de procurer une source quasi infinie d'énergie. Énergie qui, si proprement exploitée, marquerait la fin de la crise écologique dont souffrent nos sociétés contemporaines et ouvrirait un nouvel âge d'or de progrès scientifique.

C'est avec émotion et la plus immense fierté, monsieur le Président, que je vous reportais il y a plusieurs mois, cet exploit historique. Nous remercions le Centre Européen de Recherche Nucléaire de leur précieuse collaboration, ainsi que l'institut JIRA de l'État de Colorado, sans qui les États-Unis ne pourraient être aujourd'hui les pionniers de cette ère nouvelle. Et bien entendu, un succès aussi triomphant n'aurait pu exister sans l'aide de Dieu, qui pave toutes les victoires du peuple d'Amérique.

Or, c'est également avec la plus grande crainte que je vous soumets le présent rapport. Si nous étions conviés par le département de recherche d'Hawaï, ce n'était non pas pour célébrer un exploit, j'en ai peur, mais parce que les résultats de l'expérience BECKERR ont le pouvoir de remettre en question des siècles de progrès scientifique en physique, sous tous ses domaines de recherche. L'enjeu est incommensurable, c'est pourquoi avant de partager ce rapport, nous avons pris soin de demander sa relecture par deux corps indépendants. Les conclusions des organismes convergent vers nos conclusions propres. Nous nous en remettrons finalement, monsieur le président, à la décision de votre cabinet de porter ou non, cette conclusion à la population.

Afin de mettre en contexte les enjeux de cette expérience, je me permets de résumer en quelques mots, le problème de la théorie de la relativité d'Einstein :

Par le passé, nos plus brillants scientifiques ont multiplié les tentatives de marier deux principes fondamentaux, la théorie de la relativité générale et la physique quantique. Les propriétés d'un corps au niveau microscopique ne s'appliquant pas à un corps de plus grande masse. L'impossibilité d'une telle union, fut une barrière à notre avancée, en tant qu'espèce. La littérature scientifique à ce sujet est riche et se décline en plusieurs siècles de frustration. En effet, bien peu des hypothèses formulées par nos savants ne purent être confirmées à ce jour. Et cela, en dépit de la précision chaque année grandissante de nos instruments de mesure.

La rupture entre micro et macroscospique s'est une fois de plus révélée au sein du centre de recherche de l'île d'Hawaï. Un trou noir de Kerr à l'échelle galactique n'a pas, nos confrêres le prouvèrent empiriquement, les mêmes propriétés qu'un trou noir de Kerr tenant sur un doigt. Ce dont nous étions nous-même témoins dans ce centre, rend tangible l'éventualité d'une complète réécriture de toutes les théories physiques et mathématiques depuis l'empire Gréco-Romain. Il est maintenant envisageable qu'elles soient dans leur entièreté, basées sur un mauvais paradigme. Et que notre compréhension de l'Univers ne soit ainsi pas plus qu'une superstition.

L'Homme a toujours considéré la logique qui régit les lois de notre Univers, comme une sorte de grammaire allégorique, dont les mathématiques sont l'expression. Pour paraphraser Gallilée, les mathématiques sont le langage de la nature. Si tantôt celles-ci suffirent à décrire notre réalité, par l'entremise du corps exotique artificielle spontanément apparu, les forces interagissant avec notre plan d'existence sont maintenant non-équivoques. Il n'est pas question d'une grammaire, mais contre toute vraisemblance, d'une structure.

Nous pouvons aujourd'hui affirmer que cette structure se compose d'acier et de tungstène, de papiers, de portes et fenêtres, et de tiroirs. D'autres matériaux - notamment le caoutchouc et la dentelle - furent observés par le soin de notre personnel, mais nous n'en avons pas confirmation. Nous ne sommes pas sûrs de ses dimensions, ni de son ancienneté.

Je vous partage ci-dessous le résumé du premier rapport de notre commission, et fort probablement, le dernier. Que Dieu nous vienne en aide.

Veuillez recevoir monsieur le Président, mes salutations les plus distinguées.

Que Dieu bénisse l'Amérique.

Thomas M.

--

5 juin 1995

Génération du premier condensât de Bose-Einstein dans l'un des laboratoires de l'institut JILA

L'existence du cinquième état de la matière, hypothétiquement présent au cœur des étoiles à neutrons est finalement prouvée, après plus d'un demi siècle.

Décembre 2016

L'agitation de superfluides par laser permet de générer une région de masse négative, au laboratoire de physique de l'Université de Washington.

Jour 0

Le premier trou noir rotatif est synthétisé sur terre, au laboratoire de l'observatoire Mauna Kea, Hawaï. 

Jour 10

Le comportement du trou noir vient à contredire les prévisions du superordinateur gracieusement offert par IBM. 

Ses dimensions restent inchangées, laissant présupposer l'absence de radiations. Son horizon disparaît et l'objet se mute en un trou de couleur noire, si pure que la lumière ne peut s'y refléter.

Jour 17

Notre équipe est dépêchée au centre, pour enquêter sur l'anomalie. 

Dans une première tentative, un endoscope est introduit. Les calculs du superordinateur n'ont pas prédit la réaction du corps artificiel, qui en opposition avec toutes les lois quantiques déterminées à ce jour, s'agrandit de deux fois sa taille avant de se stabiliser à un diamètre de 2 mm. Les images recueillies par le dispositif sont de couleur noire, et nous ne pouvons en extraire aucune donnée.

Jour 18

Notre brillant collègue, chercheur en mécanique des fluides Sean Hoshi, construit de toute pièce un crique miniature, formé de cures-dents. La tentative est un succès, le trou de couleur noire atteignant la circonspection record de trois centimètres.

S'ensuivent les insertions de différents objets de tailles variables. Balle de ping-pong, tennis, et finalement, ballon de handball. 

Il ne sera toutefois pas possible de dépasser le diamètre record de 50 cm.

Jour 19

Nous envoyons un drone télécommandé. La communication avec l'appareil se rompt à la traversée du corps de couleur noire. 

Jour 21

Forts de notre première expérience, nous envoyons un drone préprogrammé pour recueillir des données de l'espace extraterrestre et retourner à son point d'origine, passé un délai de plusieurs minutes. À notre confusion, nous n'avons pas trace de l'appareil après plusieurs heures.

Jour 25

Joowhan Higgs et Stella Lagrange sont recrutés par nos soins, pour explorer cet énigmatique au-delà.

Monsieur Higgs, chercheur en biologie moléculaire et titulaire du prestigieux prix John J. Carter de l'Académie des Sciences, qui est par ailleurs renommé dans le milieu des arts de scène, de par sa remarquable performance de contorsionniste au show télévisé "America's got talent", est unanimement choisi comme le parfait candidat pour l'excursion. Il en est de même pour Madame Lagrange qui, diplômée avec honneurs en Sciences Mathématiques de l'Université de Harvard a, par le passé, poursuivi une courte carrière de gymnaste artistique.

Jour 27

C'est avec horreur que nous assistons à l'effondrement du trou de couleur noire, aussitôt traversé par nos deux consorts. Nous n'avons pas connaissance de l'intégrité physique de nos collègues, et nous craignons le pire. Il semblerait que son interaction avec un observateur conscient ait précipité son instabilité.

Jour 40

Après 13 jours sans nouvelle d'Higgs ni Stella, nous commençons avec le plus grand désarroi, à écrire le communiqué officiel pour leurs familles et proches.

Nos préparatifs sont amenés à leur halte inopinée, lorsque la réception du centre nous fait part d'un appel m'étant destiné. Je peux alors de première main certifier de l'authenticité de son auteure, qui n'est autre que Madame Stella Lagrange.

Cette dernière me relate leur arrivée dans le nouvel espace. Les distances Cartésiennes ne s'appliquent pas à ce milieu, selon ses dires. Si elle lève le bras, elle peut en toucher l'extrémité, mais lorsqu'elle fait un pas, elle ne peut prédire à quel nouvel endroit de la structure elle se situera. Parfois en son centre, parfois à son autre bout. Elle et son collègue doivent prendre routinièrement soin de communiquer leur mouvement et position, afin de ne pas se juxtaposer. Ce qui, selon Lagrange, procure la sensation extrêmement inconfortable de porter des vêtements trempés et froids.

Je la questionne sur les moyens employés pour entrer en communication avec le centre. Elle me raconte avoir pensé nous téléphoner puis, après avoir reculé de deux pas, s'être retrouvée face à un téléphone à cadran PTT24 qu'elle se souvient avoir aperçu dans la maison de sa grand-mère à Dijon, France.

Je lui fais part de notre inquiétude et lui certifie que nous nous efforcerons de leur porter assistance. Madame Lagrange vient alors à m'assurer que “ça ne presse pas”, selon ses mots propres. Notre collègue, Higgs est attelé à l'exploration de la structure et a grande hâte de nous communiquer ses découvertes. Il leur arrive à diverses occasions d'avoir faim ou soif, mais la structure est riche en ravitaillements divers. La veille encore, à ce que j'apprends, tous deux se sont sustentés d'un Kielbasa Tchèque et bu une eau en bouteille du village Idir, Nord Afrique.

Le dialogue est coupé court, lorsque Madame Lagrange m'annonce qu'elle doit retrouver son collègue et continuer l'investigation. Bientôt, m'assure-t-elle, recevrons-nous un second appel.

Jour 62

Nous ne perdons pas la foi et attendons patiemment le second appel promis par le duo en exploration. Notre attente porte ses fruits, puisque nous sommes de nouveau contactés par la réception.

C'est au tour d'Higgs de me faire part de ses découvertes intra-structurelles. Il a recueilli les dizaines de milliers de textes aperçus sur des murs carrelés qui ne sont pas sans rappeler les toilettes de son lycée, dans des dossiers de plusieurs centaines de pages entassés sur des bureaux poussiéreux, et des petits mots doux visibles seulement sous lumière noire, sur des pilonnes d'acier, étrangement similaires à des lampadaires.

Dans les heures qui suivent le début de l'appel, mon collègue m'énumère un grand nombre de ces informations éparses, et dont je me permets de partager seulement un échantillon concis.

  • La mère de notre collègue Fred Amstrong lui transmet que son énurésie jusqu'à ses 16 ans n'est pas sa faute. Son père était un homme violent et à l'origine de beaucoup de ses traumatismes.
  • Lucie n'est pas le premier Humain de l'Histoire. Un plus vieux fossile gît sous une mine de Nord Afrique. Le pauvre individu a succombé à la faim après s'être fait une foulure à la cheville gauche.
  • Le capitaine William Foster a gagné la goélette "Clotilda" en trichant aux cartes. Quelle aurait été la destinée des 124 enfants Africains transportés en son sein, si l'homme avait joué selon les règles ?
  • Nous avons effacé tout enregistrement d'une information sensible communiquée à votre égard, monsieur le Président.
  • Une jeune femme raconte en larmes à son téléphone, qu'elle se sent terriblement, terriblement seule.
  • La structure irradie d'une chaleur estivale et son atmosphère est d'une constante de 24 degrés. Higgs me partage une approximation de la température, quand les instruments en leur possession affichent des données perpétuellement contradictoires.
  • Il est temps que l'Humanité arrête de croire en la fable d'enfant des quatre dimensions.
  • Il n'y a pas de cause, seulement des conséquences et leurs responsabilités.
  • Cet appel sera le dernier.

S'ensuit un bruit fort que je reconnais de mémoire personnelle, comme de celui d'un modem en cours de connexion. C'est ainsi que s'achève la dernière communication avec le reste de notre équipe.

Jour 71

Cela fait maintenant 9 jours que nous enregistrons le bruit de modem véhiculé par le combiné de téléphone, posé sur le bureau de réception du centre. En dépit de nos tentatives et de l'assistance d'un groupe d'experts en télécommunication, nous ne pouvons décrypter le contenu de la transmission. Cette dernière s'arrête en milieu de soirée, donnant suite à un silence sans tonalité.

Jour 196

Nous n'avons pas écho de nos collègues disparus et nous sommes contraints de communiquer à leur famille leur mort présupposée. Il est vent de l'arrêt d'injection de fonds, après l'absence prolongée de progrès dans nos expériences.

Jour 326

Une épidémie de cauchemars et terreurs nocturnes harasse mon personnel, tant et si bien que la force de travail s'amenuise. Les demandes de transfert et démissions se multiplient.

Tous me rapportent depuis quelques semaines, basculer certaines nuits dans un état hypnagogique, dans lequel un bruit de modem est entendu. S'ensuit la présence pressentie de Lagrange, de par son odeur ou son toucher. Dans certains cas, on me reporte entendre le fredonnement de la chanson enfantine Twinkle star, par une voix féminine.

Je décide unilatéralement d'annoncer la fin officielle de l'opération.

Jour 332

Je suis moi-même témoin de l'apparition hallucinée de ma collègue. Je l'entends me dire que notre fin à tous n'est pas de notre faute. Qu'elle n'aura pas de sens pour le faible potentiel de calcul de nos cerveaux humain. Elle me conforte, si ça peut me rassurer me dit-elle, la fin de cette histoire est bercée de chants tribaux. Qu'ils seront proférés avec sérénité. Qu'il y aura beaucoup d'embrassades. Et de couleur fuchsia.

Suite : Serveur confusion - ep. 02 - Mute

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Timothé regardait la pile d'objets en polymer gros comme des boîtes d'œufs, qui s'amoncelait dans son salon depuis qu'il avait emmenagé.
À l'autre bout du fil, une voix monocorde, exaspérante de calme, lui dictait la marche à suivre :
— Votre Box est personnelle et incessible monsieur.
— Ça fait beaucoup de Box quand même, vous ne pouvez pas me débarrasser des anciennes ?
— Nous allons d'abord terminer votre diagnostic monsieur si vous le voulez bien, j'aurai besoin de connaître la date de naissance de votre ancêtre le plus éloigné dont le lieu de naissance se situe en France ou dans un pays de l'Union Européenne hors traité Luxembourg.
Un tableau affiché sur le mur contenait les informations administratives couramment demandées par les services à distance. Timothé fit quelques pas pour s'en approcher.
— Attendez je regarde.
L'agent du centre d'appel lui, observait l'horloge de la salle, par-dessus son écran. Une belle horloge ronde, au design épuré, avec une grande aiguille fine qui tournait sans à-coups. Dans cinq minutes ce serait la fin du créneau. Fin de la journée.
Une réponse arriva sur la ligne : « 14 avril 1857. »
Le téléconseiller pivota dans son fauteuil. Derrière son petit bureau on pouvait voir les toits à l'horizon, à travers l'unique fenêtre de cet emplacement qu'il occupait par pure chance cette semaine. Dans son micro sans-fil, il confirma le verdict :
— Oui c'est bien ce que je disais, il vous faut la Box 8.
Timothé commença à perdre patience :
— Comment voulez-vous que je me fasse livrer cette nouvelle Box puisque je n'ai plus accès à aucune option de livraison ?
— Avec la Box 8 vous bénéficierez de TOUS les services, y compris l'assurance maladie et le suivi postal monsieur...
— Mais je viens de vous expliquer que ma Box 7 ne fonctionne plus !
— Monsieur, pas la peine de vous énerver, vérifiez simplement que vous avez bien renseigné votre code d'authentification fiscale...
— Je-ne-peux-pas !
— Dans ce cas monsieur vous devez vous connecter sur le site France Services en fournissant un justifica...
Une tonalité compressée résonna dans le casque. Timothé venait de raccrocher.
Plutôt que d'enclencher sa dernière prise d'appel réglementaire, l'agent inspira profondément, face à la fenêtre. Demain il serait dans un autre compartiment du plateau, devant un mur. Il rêvait de prendre la grande décision. De tout arrêter dès la semaine prochaine. Ne plus se lever le matin pour répéter des scripts de discussion. Ne plus voir la tête de ses voisin·es de cube, ni celle du manager hargneux à chemise colorée.

Mais pour avoir accès à la Box 9, il lui faudrait renouveler son contrat de travail.

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C'est un vieux médiateur pénal, sénile de 80 ans, qui m'avait envoyé là-bas. Je n'étais pas assez inquiétant pour un vrai tribunal : le travail forcé devait me remettre sur le droit chemin.

« Ici on fournit un service client exceptionnel » annonce l'instructeur.
Je lève les yeux. Les noms magiques des tours sont illisibles d'en bas, mais ici, au 38e étage, on a une vue imprenable sur le royaume des cieux.

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[Edit : c'est bon c'est réparé dans la version 18.1 de Lemmy, déjà déployée sur jlai.lu]

Les filtres "actifs" (par défaut) et "tendances" ont un bug qui rend invisibles les posts plus anciens.

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